Appel à Communication « Piégé par la machine »
27-28 avril 2017
IUT Cherbourg Manche (Salle de conférence de la MDE)
6ème colloque Stella Incognita
Organisation : Agnès Aminot
Comité scientifique : Agnès Aminot, Danièle André, Samuel Minne, Aurélie Villers
Créée par l’homme pour alléger sa charge de travail et faciliter son quotidien, la
machine, du grec « mêkhanê », « engin, procédé ingénieux », requiert d’abord une
conscience qui la dirige, un opérateur qui lui donne une mission à accomplir. Si l’on en
croit la définition principale du terme1, la machine est un « objet fabriqué complexe
capable de transformer une forme d’énergie en une autre et/ou d’utiliser cette
transformation pour produire un effet donné, pour agir directement sur l’objet de travail
afin de le modifier selon un but fixé ». Mais la machine désigne bien plus qu’un objet :
c’est aussi la métaphore de l’organisation, qu’elle soit politique, sociale ou économique.
La machine se définit à chaque fois par sa complexité, son but programmé et la source
d’énergie (électrique, humaine, monétaire, mécanique …) sans laquelle elle ne peut
exister.
Initialement créée pour pallier les limites imposées par notre condition humaine, la
machine décuple nos capacités et nous permet d’avancer, au propre comme au figuré.
Mais comme l’explique Gérard Chazal dans A quoi rêvent les machines ? (2016), « les
dispositifs qui vont déployer une force qui dépasse de beaucoup notre faiblesse physique
vont poser la question de leur maîtrise. Comment en effet demeurer maître de quelque
chose qui peut à chaque instant nous dépasser et nous écraser par sa puissance ? »2
Depuis le XIXème siècle, cette assertion déclenche de nombreuses angoisses relayées
par la science-fiction : quand la machine devient puissante et autonome, qu’advient-il de
l’humanité qui l’a créée ? A quel moment cette dernière va-t-elle se retrouver prise au
piège de sa création? Et dans quel but les machines nous piègent-elles ?
Ce sont ces pistes, entre autres, que nous envisageons d’étudier ensemble à l’occasion
de ce 6ème colloque Stella Incognita.
Le piège n’est au départ qu’une entrave, un simple collet (pedica en latin). On piège
lorsqu’on chasse, ou lorsqu’on souhaite tromper quelqu’un ou exercer un contrôle sur lui.
Cela implique une dissimulation, un artifice dont on se sert pour attirer une proie
potentielle. La machine qui piège soumet l’homme et lui ôte son rôle d’agent, comme
dans « Button, Button », de Richard Matheson (1970).
La révolution industrielle devait être un progrès pour l’ouvrier, libéré des affres du
travail manuel désormais accompli par la machine. Le constat fut amer : l’homme est
aliéné, piégé par la multiplication des machines et des usines, machines métonymiques
faites à la fois d’humain et de métal. L’homme n’est plus qu’un rouage dans la vaste
1 Trésor de la Langue Française Informatisé, article « Machine »
2 CHAZAL, Gérard. A quoi rêvent les machines ? Dijon : Editions universitaires de Dijon, 2016. p.29-30.
machine qu’est devenue la ville (Metropolis, Fritz Lang 1927 , Paris au XXe siècle, Jules
Verne 1860).
On pourra s’interroger sur le piège qui se referme sur l’ouvrier, cantonné à la même
place sociale sans espoir de changement, et qui, assigné à une même tâche répétitive,
n’est qu’une réserve énergétique pour la machine. La machine n’a plus besoin du cerveau
humain pour opérer et l’usine pourrait fonctionner indéfiniment, sans agent humain pour
la diriger. Matrix (Wachowski, 1999) explore cette idée au sens littéral du terme, en
utilisant l’humain comme unique source d’énergie pour que la Matrice fonctionne. Car
c’est bien la source d’énergie qui donne son pouvoir à la machine : lorsqu’elle se retrouve
privée de carburant, la machine s’éteint et entraîne la société moderne dans les ténèbres
de la régression, comme le prouvent les oeuvres post-apocalyptiques Ravage de Barjavel
(1943), la série Revolution (2012-2014) ou la série des Mad Max (1979-2015).
La machine étatique qui broie ses sujets relève de la même idée de piège : réifiant
l’humain devenu rouage, la machine l’exploite jusqu’à sa mort, avant de le remplacer par
un autre, moins usé que lui. Les dystopies, à travers les images de la chaîne de production
intensive, de la répétition des mêmes tâches et de la suppression systématique des
anomalies présentent une société déshumanisée où la destruction des caractéristiques
humaines (sentiments, réflexion, individualité …) permettent à une élite de tirer profit
d’une base méprisée et manipulée (1984, George Orwell, Shangri-La, Mathieu Bablet,
2016).
La machination marque, de manière assez claire, son lien avec une mécanique
destinée à piéger quelqu’un. Complots, conspirations et manigances relèvent de la même
notion d’actions complexes et pré-programmées qui définit la machine, mais dont le but
est ici clairement nuisible à quelqu’un ou quelque chose. Les machinations extraterrestres
visant à conquérir la Terre ou à exploiter les humains comme dans Under The
Skin de Michel Faber (2000) et son adaptation par Jonathan Glazer en 2013, la série V
(1983 ou 2009) ou la série X-Files (1993-2016) pourront, notamment, faire l’objet d’une
étude lors du colloque
Si l’on s’en tient à la machine mécanique ou informatique, il semble difficile de
concevoir le piège dans son sens d’embûche insidieuse si l’on considère combien les
actions d’une machine sont une succession de commandes programmées à l’avance par
l’homme. Cependant, l’homme peut être piégé à son propre jeu lorsqu’il programme une
machine sans penser aux conséquences futures de son acte, comme c’est le cas dans la
nouvelle Les Défenseurs de Philip K. Dick (1953).
Considérer un piège fomenté par la machine implique une forme de logique, de
volonté mécanique. Si Asimov ne s’attarde pas sur l’idée de conscience robotique dans ses
nouvelles — n’offrant à ses machines qu’un cerveau positronique imitant davantage un
logiciel qu’un réel cerveau humain — il fonde cependant les trois lois de la robotique,
censées interdire la possibilité qu’une machine se retourne contre nous, humains. Le piège
d’une logique mécanique est donc bien présent, et se retrouve dans la nouvelle ‘Cercle
Vicieux » (1942), où Asimov questionne les limites d’une logique robotique enrayée
devenue mortelle pour l’homme. Le principe du danger de toute logique mécanique sera
repris plus tard, avec l’avènement des machines réticulaires assassines telles que
Samaritan, dans Person of Interest (2011-2016).
Ce questionnement qui tenait tout d’abord de la fiction imprègne les découvertes
scientifiques liées à l’intelligence artificielle (depuis l’article théorique d’Alan Turing sur
l’Intelligence Artificielle en 1950) et s’est accentué ces dernières décennies avec les
avancées en informatique amenant à la défaite de Kasparov face à Deep Blue en 1997 et
la réussite (partielle) en juin 2016 du Test de Turing pour une machine du MIT3. Hal,
dans 2001 : l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (1968) demeure l’exemple le plus
frappant des craintes liées aux avancées de l’intelligence artificielle.
Nous faisons partie d’un réseau de machines qui couvre la totalité du globe et qui fait
désormais de la société de surveillance imaginée par Orwell une réalité. Nous sommes
capturés par nos téléphones portables (comme dans Cellulaire, de Stephen King, 2006)
ou par nos ordinateurs : « Nous ne sommes plus que des mots, des codes, des images et
des bouts de musiques circulant à une vitesse inconcevable sur les fils entrecroisés du
réseau. Nous sommes nos messages. » explique Gérard Chazal4. Alain Damasio explore
ce concept de manière littérale dans la nouvelle C@ptch@ (2011), tandis que le film The
Dark Knight (Nolan, 2008) ou les séries Person of Interest et Black Mirror (2011-) nous
offrent une vision orwellienne de cette machine réticulaire.
On pourra explorer une autre piste, celle ouverte par les cyborgs, les humains
augmentés, les robots et plus spécialement les androïdes. Ces derniers induisent une autre
illusion : la machine devient miroir et imite l’homme, comme dans Blade Runner (Ridley
Scott, 1982). Depuis les automates de Vaucanson et Jaquet-Droz, la crainte – et l’envie –
de la reproductibilité artificielle de l’humain nous hante (Villiers de L’Isle-Adam, L’Eve
Future, 1886). Bishop, dans les Alien (1979-1997) et David, dans Prometheus (2012), ou
les clones de Gally, dans Gunnm (1993) représentent les interrogations et les peurs
qu’engendrent des machines douées d’une apparence et d’un raisonnement humains,
défiant le temps et rappelant à l’homme sa fragilité et sa mort inéluctable.
Nous pourrons aussi nous intéresser au piège qu’est la machine pour nos
représentations du monde, de la science ou de l’art. Ainsi, si Descartes a décrit l’animal
comme une machine au XVIIème siècle, et la science des 60 dernières années a très
souvent comparé le cerveau humain à un ordinateur, des études récentes5 cherchent à
prouver le frein qu’est la comparaison avec la machine pour comprendre le monde. De
même, nous pourrons nous interroger sur le piège qu’est la conception mécanique pour
notre imaginaire.
Par ailleurs, le texte de fiction peut aussi être compris comme une machine. Umberto
Eco, dans Lector in Fabula, (1979) voit le texte comme une « machine paresseuse »
demandant un travail de coopération au lecteur. Isabelle Krzywkowski, elle, s’interroge
sur la manière dont l’arrivée de la machine à écrire puis de l’ordinateur va influencer le
texte dans son ouvrage Machines à écrire : littérature et technologies du XIXe au XXIe
siècle. Cela nous offrira l’opportunité de travailler sur le lien entre texte et machine ; par
ailleurs, l’étude narrative des effets de pièges en science-fiction sera donc un thème
bienvenu pour le colloque.
3 https://humanoides.fr/mit-test-de-turing/
4 CHAZAL, Gérard. A quoi rêvent les machines ? Dijon : Editions universitaires de Dijon, 2016. p.69
5 https://aeon.co/essays/your-brain-does-not-process-information-and-it-is-not-a-computer
La langue comme système de signes pourra aussi faire l’objet d’une étude : piégée par
les avancées de l’intelligence artificielle, l’interface homme-machine se fait au détriment
de la langue humaine, réduite à la simplicité la plus extrême afin d‘être comprise par la
machine. La langue est aussi une machine vecteur de pièges, comme dans les romans
Babel 17 de Delany ou The Embedding de Watson ou le film Arrival de Villeneuve
(2016).
Enfin, nous nous intéresserons aux moyens mis en oeuvre pour échapper à la machine,
qu’il faille la détruire (L’étoile Noire dans Star Wars, ou la machine étatique dans V for
Vendetta), la fuir (« La Machine s’arrête », Forster, 1909 et Terminator, James Cameron
(1984)) ou la reconfigurer (2001 : L’odyssée de l’espace).
Ce sont ces pistes que nous envisageons d’explorer ensemble dans des communications
de 30 minutes, qui seront suivies de 10 minutes de questions et d’échange avec
l’ensemble des participants.
Les propositions de communication (entre 250 et 400 mots) sont à envoyer avant le 25
janvier 2017 à Agnès Aminot à l’adresse suivante: a.aminot@gmail.com accompagnées
d’une courte présentation de l’auteur.
Pour résumer, voici quelques exemples de thèmes que nous serions heureux d’analyser au
cours de ce colloque :
– Les labyrinthes, les lieux clos et les prisons science-fictionnels (The Man in the
Maze, Robert Silverberg, 1969 ; IGH, Ballard 1975 et son adaptation, High-Rise,
Wheatley, 2015 ; DMZ, Brian Wood, 2005-2012, …)
– Les villes mécaniques (Les Murailles de Samaris, Schuiten & Peeters, 1983,
Dark City, Alex Proyas, 1998, …)
– Les pièges dans des mondes informatiques ou les jeux vidéos type
MMORPGs (Tron, Lisberger (1982), Log Horizon (2010 pour le roman, 2013
pour l’anime) ou Sword Art Online (2009 pour le roman et 2011 pour l’anime),
…)
– Les moyens de transports (trains, vaisseaux, sous-marins…) comme espaces
clos mécaniques et mortifères (Le Transperceneige, Rochette & Lob (1984) &
Bong Joon-ho (2013), Dernier Train pour Busan, Yeong Sang-oh (2016) The
Signal de William Eubank (2014), Glasshouse de Charles Stross (2006) Vingt
mille lieues sous les mers, Jules Verne 1870, …)
– L’automate et l’androïde (Real Humans (2014), Ghost in the Shell (1989) ; I,
Robot, Proyas 2004, …)
– L’Intelligence Artificielle (Ex Machina, Garland (2015)…)
– Les machines étatiques, politiques ou d’entreprises (1984 de Orwell, Shangri-
La de Bablet, Elysium de Blomkamp…)
– Les pièges de la langue (1984, Arrival) ou la langue piégée
– Les machines-monde : les réseaux de machines englobant le monde (Person of
Interest, Black Mirror…)
– Les moyens d’échapper à la machine (V for Vendetta (1989, Moore & Lloyd et
2005, MacTeigue), Cube (1997), Star Wars, …)
Bibliographie indicative
Jean-Michel BESNIER, L’Homme simplifié : Le syndrome de la touche étoile, Fayard,
2012
Gérard CHAZAL A quoi rêvent les machines ? Dijon : Editions universitaires de Dijon,
2016.
John COHEN, Human Robots in Myth and Science, New York, Allen & Unwin, January
1966.
Isabelle KRZYWKOWSKI, Machines à écrire : littérature et technologies du XIXe au
XXIe siècle, Grenoble, Ellug, 2010.
Sarah LEFANU, In The Chinks of the World Machine: Feminism and Science Fiction,
The Women’s Press, 1988.
Viktor MAYER-SCHONBERGER et Kenneth CUKIER, Big Data, A Revolution that
will Transform how we Live, Work and Think, Eamon Dolan Book, Houghton Mifflin
Harcourt, Boston, New York, 2013, p.150
Peter MENZEL et Faith D’ALUSIO, Robo Sapiens : une espèce en voie d’apparition,
Paris, Autrement, 2001
Jay P. TELOTTE, A Distant Technology: Science Fiction Film and the Machine Age,
Wesleyan University, 1999
Alan TURING, « Computing Machinery and Intelligence », in Mind, vol LIX, n°236,
1950.
Gaby WOOD, Le rêve de l’Homme-Machine: De l’automate à l’androïde, 2002, 2005,
Edition Autrement, Paris