CRITICA MASONICA

CRITICA MASONICA

Etude Critique et Académique du fait maçonnique, reflets de la revue. Envisage la Franc-Maçonnerie comme un univers culturel dont l’étude nécessite d’employer les outils des sciences humaines, de procéder à une nette séparation du réel et du légendaire et de procéder à la prise en compte de ce légendaire comme un fait social et historique.

 

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« Maria Deraismes, riche, féministe et franc-maçonne » par Fabienne Leloup

Jean-Pierre Bacot

La fiction au service d’un travail de mémoire. On ne sait pas grand-chose de ce que fut l’existence de Maria Deraismes (1828-1894), la première maçonne de l’ère moderne, co-fondatrice avec Georges Martin du Droit humain. Plutôt que de répéter ce qui s’est déjà souvent écrit, parfois aux limites de l’hagiographie, Fabienne Leloup a préféré écrire un roman, publié chez Michel de Maule, où elle met en scène la jeune fille, puis la femme riche et célibataire, laïque et bonne oratrice et, enfin, la femme mûre, trop tôt usée parce que malade (il faudra un siècle pour savoir qu’il s’agissait de la maladie de Crohn).

Si l’auteure tire le fil romanesque du côté d’un possible lesbianisme de son héroïne, lequel, s’il était avéré, ne poserait aujourd’hui aucun problème, elle insiste surtout sur les nombreuses rencontres intellectuelles qui, à la suite de l’exemple paternel, l’ont amenée à s’inscrire dans une République où il n’y avait pas beaucoup de place pour les femmes. Mais la force morale et le caractère dont était dotée Maria Deraismes lui permirent non seulement d’être reçue en janvier 1882 dans une loge de la Grande loge symbolique écossaise, mais surtout de résister au repentir de ses faux frères et d’attendre 1893 pour fonder une loge qui allait devenir une obédience internationale, le Droit humain, avec celui qui lui était resté fidèle, Georges Martin. Elle aura pu voir enfin se lever, sinon les légions de femmes qu’elle espérait en 1882, tout au moins une descendance féminine dans une logique mixte accomplissant pour la bourgeoisie le prototype des loges d’adoption construit un siècle plus tôt par et pour l’aristocratie.

Le roman de Fabienne Leloup permet de rencontrer nombre de personnages traversant les années de l’Empire libéral, puis de la IIIe République où, répétons-le, Maria Deraismes sera l’une des rares femmes à évoluer à son aise et à être acceptée dans un milieu progressiste, mais très masculin, de journalistes et de politiques. Elle y fera entendre une musique féministe assez rare dans le milieu modéré qui était le sien, proche du Parti radical. Il y eut un millier de personnes à ses obsèques civiles en février 1895. À peine avait-elle pu connaître la maçonnerie, mais elle avait déjà installé une figure tutélaire que Fabienne Leloup enrichit par un passage par la fiction. A quand une série télévisée?