CHARLOTTE CORDAY, ANGE EXTERMINATEUR?

 

 

9 juillet 1793, une jeune femme de qualité quitte sa Normandie natale et arrive à Paris deux jours après. Elle a vendu tous ses effets personnels et brûlé tous ses papiers pour ne pas laisser aucune trace compromettante derrière elle. Quand tout sera fini, elle enverra une lettre d’adieu à son père.

Pour le moment, dans sa chambre, elle écrit à Marat pour lui demander un entretien. Sous prétexte de patriotisme, elle veut lui livrer des noms de traîtres…

Charlotte Corday loge en effet à l’hôtel de la Providence qui porte bien son nom. Cette séduisante demoiselle au profil grec, au visage ovale encadré de cheveux blond foncé n’est pas montée à Paris pour trouver un emploi dans une maison, grâce à son physique racé, ni même déambuler en tenue légère dans les jardins de la Capitale. En digne descendante de Corneille, la jeune femme se prépare à son rôle d’ange justicier: le 13 juillet, dès 8 h du matin, elle se rend à Palais-Royal et y achète un couteau. Déjà prête à entrer sur la scène de l’Histoire.

Est-elle lasse de lire les discours de Cicéron, modèles aux tirades enflammées des avocats de la Terreur? Veut-elle montrer aux Girondins et aux Montagnards, aux misogynes que le pouvoir c’est pouvoir-faire ?

Charlotte est obstinée, obsédée même. Sans réponse de Marat, elle lui écrit de nouveau, puis décide de passer chez lui, le 13 juillet, à 11h. Son couteau est bien à l’abri, niché entre ses seins, dissimulés par un fichu. Mais personne ne lui répond.

Le soir même, elle se poste devant l’immeuble de Marat et force le premier barrage de la portière. Charlotte monte un escalier et frappe à la porte du journaliste. C’est Simone Evrard, son épouse qui lui ouvre.

« À cette heure-ci, le Citoyen Marat ne reçoit personne! la rembarre sa compagne, détaillant l’inconnue.

— C’est impossible… Il n’ y a pas d’heure pour la République…il faut absolument que je lui parle!» réplique la jeune femme.

 

La voix de Simone Evrard se durcit et résonne dans le couloir:

« Non, c’est inutile. Votre place n’est pas ici!»

Une voix d’homme se fait entendre: «Qui est-ce?»

Simone Evrard: «Votre mystérieuse correspondante ».

Marat: «Amène-la moi!»

 

Charlotte s’engouffre dans le couloir et parvient jusqu’à une autre porte entrouverte, gondolée d’humidité.

« Entrez!»

Le député barbote dans sa baignoire. Un linge blanc retient les cheveux de tremper dans l’eau vinaigrée. Des feuilles griffonnées gisent devant lui sur une méchante planche. Épuisé, Marat achève un article. Seule la main qui écrit apparaît indemne de l’eczéma, le mal dont il souffre, depuis des années.

Charlotte est saisie par ce tableau de chair suintante.

Il lui demande son nom. Elle lui donne. Rassuré sans doute, il en vient aux informations secrètes qu’elle est censée détenir. Charlotte dépose un document sur la planche. Marat le prend et le parcourt avec cette lueur dans les yeux qui la détermine au passage à l’acte… Et de tirer le couteau de son corsage et de poignarder l’Ami du Peuple!

La violence du coup et les râles de la victime alertent Simone Evrard.

Charlotte se fige. Elle se laisse conduire en prison. Elle ne jouera ni à la martyre ni à l’ingénue.

Quelques jours après, le procès a lieu. Le verdict est clair: la mort. Pourtant son meurtre en solitaire déstabilise les magistrats. Son refus de communier déconcerte le prêtre. Et même les traits délicats de son visage se dérobent aux pinceaux du peintre Hauer venu faire son dernier portrait avant le jour de l’exécution.

 

17 juillet 1793, Charlotte est confiée au bourreau Sanson. Il fait très chaud et la robe écarlate des parricides épouse les formes de la jeune vierge. Montée sur la charrette du supplice, elle s’en moque, obsédée par un autre monstre: l’échafaud dressé sur la place de la Révolution. Devant lui, elle semble fascinée… Le bourreau veut lui cacher cette vue.

Et elle proteste « Je n’en ai jamais ! J’ai bien le droit d’être curieuse!»

Curieusement, Charlotte meurt vierge et heureuse, amante religieuse de la Mort.