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Jack l’Eventreur : naturaliste ou chirurgien ?
Par Sophie Herfort
J’ai demandé à mon amie auteure Sophie Herfort, spécialiste de Jack l’Eventreur de nous parler de lui… Un détour par la littérature pour interroger notre représentation de la médecine, et en particulier de la chirurgie.
Le mode opératoire
Si Jack L’Eventreur présente un mode opératoire proche des docteurs et autres chirurgiens de son époque, ce personnage sombre de l’histoire victorienne n’existe qu’à travers l’observation consciencieuse de ses exactions. Son travail de récupération d’organes consistait à inciser ses victimes du sternum ou pubis et ne pouvait refléter qu’une certaine maîtrise des connaissances anatomiques qui rappelle la pratique post-mortem des médecins légistes ou plus exactement le geste sûr du naturaliste. Mon suspect, un certain Melville Macnaghten était un ancien exploitant en thé, officiant en Inde pendant douze ans à Kishnaghur dans une province agricole de Calcutta en Inde où dans sa jeunesse son père Elliot Macnaghten, directeur de la Compagnie des Indes, lui apprit l’art de chasser dans les plaines du Bengale mais aussi l’art de naturaliser ses gibiers et dans ce cas précis, le mode d’incision reste très proche des techniques d’ouverture post-mortem (sternum au pubis).
Cette piste allait m’orienter vers cette pratique des organes prélevés, assimilés à des trophées de chasseur. Il devenait dès lors évident que pour moi, Jack l’Eventreur n’était pas médecin mais bien plutôt un chasseur naturaliste.
Le trophée
Le trophée chez un tueur en série reste la forme de suprématie, de pouvoir extrême, de contrôle absolu qu’un individu pervers, voire psychopathe peut établir sur sa victime. L’acte de cannibalisme constituant là son forfait démentiel le plus abouti en termes de perversion mais là encore, rien ne prouve que ce fut le cas. Ces trophées n’étant là que pour ressusciter sa phase de folie meurtrière pour cet assassin désireux de revivre ses excitations à répétition, les étapes de son meurtre, pour atteindre enfin l’ultime jouissance à travers les organes prélevés sur ces malheureuses victimes et prostituées de l’East-End. Le rein prélevé chez Catherine Eddowes ou bien le cœur chez Marie Jane Kelly sont autant d’actes attestant chez l’assassin de sa volonté de garder le pouvoir sur ses victimes ; il a trouvé par ce biais-là un moyen de nier leur féminité, leur humanité en défigurant celles-ci comme ce fut le cas, même partiellement pour Catherine Eddowes la quatrième victime qui eut le nez arraché ou intégralement chez Mary-Jane Kelly, la petite dernière, la benjamine dite « Ginger » en raison de ses cheveux blond vénitien et puis suivrait l’acte le plus inimaginable commis sur un être humain : le retrait des organes intimes. La forme la plus déviante de cruauté et d’atteinte envers les femmes. L’assassin irait jusqu’à découper le ventre, la poitrine ou les organes génitaux de ses victimes et ainsi opérer des prélèvements. Il lui fallait trouver son trophée d’un soir dans les bas-fonds de l’atelier du monde : Londres.
Lors d’une visite à Garches…
C’est en 2007, lors d’une visite à la morgue de l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches et d’une invitation à assister à une séance de dissection, menée par le Docteur Caroline Rambaud que tout est devenu clair pour moi. L’assassin possédait des compétences chirurgicales mais surtout celles d’un naturaliste, connaissant la disposition des organes avec brio. Je m’étais donc déplacée à la morgue de cet hôpital pour une chose et une seule : tenter de comprendre comment Jack l’Eventreur avait-il pu ôter le cœur de Mary-Jane Kelly, la cinquième et dernière victime de la série, sans casser les côtes du gril costal qui étaient restées intactes.
La réponse me fut clairement avancée par le docteur Rambaud, médecin légiste de l’hôpital de Garches. L’assassin est passé par la matrice (utérus), remontant par le diaphragme pour atteindre par-dessous le cœur et pouvoir l’en extraire sans casser une côte, en suivant le même chemin inverse. Seul un homme expérimenté aux pratiques anatomiques pouvait se montrer capable de tels actes. Le suspect désigné par mes soins, ayant sévi à l’automne de la Terreur en 1888 dans l’East end londonien ne pouvait être que cet homme au passé trouble, ayant subi une éviction des services de Scotland Yard, trois jours avant les meurtres, haïssant plus que tout l’homme responsable de son refus de candidature : le préfet Sir Charles Warren, à la tête de Scotland Yard mais surtout mon suspect avait des motifs plus impérieux.
Dans son journal intime Days of my years, Sir Melville Macnaghten n’a-t-il pas traité les prostituées de « plus bas déchets de l’humanité « ? L’homme de l’Automne de la Terreur qui du 31 août au 9 novembre de l’année 1888 avec son allure ordinaire et son visage rassurant cachait en lui-même tant de monstruosité en lui qu’il fut difficile d’entrevoir l’implication d’un « honnête » gentleman dont le crime fut de percevoir avec un rejet significatif les formes les plus décadentes du commerce sexuel avant de passer à l’acte et d’assouvir d’horribles fantasmes victoriens fort répandus à une époque où dans ces quartiers, une femme sur deux se prostitue et où un homme sur deux méprise ouvertement ces « travailleuses du soir ». « Jack l’Eventreur » était sur toutes les lèvres mais aussi dans toutes les consciences dites « bienveillantes » de la Rule Britannia, à la fois hypocrite et inhumaine. Qu’il ait rejoint les services de Scotland Yard pour y exercer dès 1889 en qualité d’ex-chasseur naturaliste n’étonnera donc personne. Son vice, consistant à détester les femmes de petite vertu, était le propre de plus d’un victorien mais lui seul, a plongé une ville entière dans l’horreur.
Tel fut le comble de l’indécence. Que chacun fut capable d’être à son image mais que la morale constitue le socle dur, le frein au passage à l’acte. Ce misérable n’incarnait qu’une forme déviante bien répandue dans l’esprit du gentleman « bien » sous tous rapports.
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