D’emblée, nous constatons que la définition de l’Intelligence Artificielle est imprécise, variant au gré des avancées techniques, à chaque année qui passe. Tentons de cerner cette notion contemporaine, employée sans distinction fine par les médias. A l’origine, une I.A est un algorithme dont le but est de pouvoir prendre des décisions relevant d’une certaine forme de compréhension du monde grâce à un traitement de données. En pratique, le terme « intelligence » est impropre car il s’agit d’un terme générique qui englobe en réalité deux formes principales d’I.A. On distingue en effet : a) l’I.A symbolique : l’algorithme dans cette version est à base de règles. L’ordinateur exécute des ordres qu’on lui donne ; b) l’I.A connexionniste : dans cette version plus poussée de machine pensante, les algorithmes apprennent, à partir d’exemples, à exécuter des tâches pour lesquelles ils n’ont pas été spécifiquement été programmés. Cet apprentissage virtuel, aux conséquences réelles, a pris pour modèles les neurones de notre cerveau d’humain. Les algorithmes d’apprentissage profond, ou « deep learning », sont fondés sur des réseaux de neurones artificiels, par analogie avec les nôtres. Le terme d’analogie ne peut qu’éveiller le doute chez tout être humain rationnel, chez tout scientifique digne de ce nom. D’où la question soulevée par l’actualité et ma réflexion, mon questionnement personnel : peut-on se fier à l’I.A connexionniste ? N’est-ce pas jouer à l’apprenti sorcier que de continuer à la développer ? 1/ Le chercheur Idrisse Aberkane, expert en neurosciences notamment, dans son dernier essai sur l’I.A, Le Triomphe de votre intelligence – Pourquoi vous ne serez jamais remplacé par des machines ?, nous livre un discours optimiste. Pour lui, l’I.A , c’est un peu comme l’histoire des métaux. C’est l’homo sapiens qui a façonné le cuivre, puis est passé à l’âge du bronze, avant de créer l’acier. Notre époque, dans la pratique de l’I.A, est celle de l’âge du cuivre. Celui du bronze, qui verra poindre l’âge de la conscience, surviendra quand sera trouvé l’algorithme de la conscience artificielle. Pour ce chercheur, l’I.A. est une opportunité majeure pour se libérer des tâches répétitives et du travail humain fastidieux.
L’étymologie de travail ne vient-elle pas de « tripalium », supplice ? Toutefois il ne cache pas que l’I.A va s’amplifier crescendo et va nous contraindre à faire des choix. En ce premier quart du XXIème siècle, l’humain et la machine cohabitent de façon relativement équilibrée, l’homme tolérant que des ordinateurs hyperpuissants parviennent à battre les champions du monde d’échecs. N’est-il pas symbolique – et lacanien ? – que le premier échec majeur de l’homme face à la machine vienne des échecs, roi des jeux et jeu des rois ? 2/ Or, cette cohabitation pose scientifiquement problème. Si l’on veut donner des responsabilités à un algorithme, il faut pouvoir déterminer ce qui l’a mené à prendre telle ou telle décision. C’est ce qui s’appelle faire preuve d’explicabilité. Actuellement, l’explicabilité est le talon d’Achille des réseaux de neurones artificiels. La communauté scientifique s’est rendue compte que l’on pouvait leurrer un réseau de neurones capable de reconnaître des animaux en modifiant un seul pixel de l’image, de manière à induire en erreur l‘algorithme. Cela pose un dilemme : les algorithmes complexes ont tendance à être plus puissants, mais moins explicables. Feriez-vous confiance à un médecin qui semble ne pas se tromper dans ses diagnostics, mais qui ne sait pas les justifier ? Les programmes ont beau être mus par une logique froide, ils ne sont pas neutres car ils peuvent véhiculer les préjugés de leurs créateurs. Leur objectivité est une idée fausse. (…)
Anthologie Étranges floraisons, Beaune, éditions La Clef d’Argent, septembre 2020, 173 pages, 13 E.
( Couverture : Léo Gontier)
Préface , « Le végétal est un être humain comme les autres » par Jean-Guillaume Lanuque.
La préface donne l’intention de ce recueil : permettre aux auteurs ( Philippe Gontier, Pierre Brulhet, Céline Maltère, François Fierobe, Jérôme Sorre, Patrick Mallet, Stéphane Mouret, Laurent Mantese et Jean-Pierre Favard) d’exprimer une anthropologie de l’imaginaire du végétal. Mais également une sensibilité à ce que l’on nomme aujourd’hui les « STS », les sciences, techniques et société(s). Depuis les années 70, beaucoup d’auteurs dont Jean- Pierre Andrevon avaient manifesté leurs convictions écologiques. Aujourd’hui, comme l’explique Jean-Guillaume Lanuque, « (l)a prise de conscience des bouleversements climatiques (…)a entraîné des remises en cause de tous ordres, y compris sur le plan métaphysique…»
Par conséquent, le non spécisme ne concerne plus seulement le règne animal, mais également le règne végétal. Ce n »est pas fortuit si dans sa dernière édition, le dictionnaire Robert a intégré les termes « spécisme » et « antispécisme », reconnaissant la démocratisation du terme.
Spécisme: n. m. du latin species (espèce) et d’après racisme et l’anglais speciesism (1970). Didact. Idéologie qui postule une hiérarchie entre les espèces. Spécialt. La supériorité de l’être humain sur les animaux. « la lutte contre le spécisme, c’est l’extension du principe d’égalité au monde animal » (Le Matin, 2015). Par ext. Mauvais traitement, exploitation des animaux. Contr. Antispécisme
Dans cette anthologie, chaque auteur montre la porosité entre les règnes ou plus exactement la co-évolution plus ou moins horrible entre mutualisme, parasitisme et symbiose.
Par exemple, on a l’illustration du commensalisme dans la nouvelle « Sexburge » de Céline Maltère : Boragine, l’épouse du scientifique botaniste Héliotrope fournit quelques fleurs rares pour son époux, en signe d’amour.
Le mutualisme voire la symbiose entre l’homme et l’arbre-totem est racontée dans la nouvelle de Pierre Brulhet, écrivain marqué par sa jeunesse passée en Afrique.
Toutefois, les relations entre êtres humains et végétaux sont montrées aussi dans leur antagonisme, comme dans la nouvelle « Canopée » aux échos de science-fiction voire de parasitisme comme dans « L’homme qui se prenait pour un arbre ».
La symbiose reste toujours étrange comme semble nous le suggérer Philippe Gontier avec sa « short story » délicieusement hitchcockienne où les « roses de la serre » deviennent des adjuvantes de la police , « exha(ant) un parfum de charogne » pour démasquer l’assassin.
En tout cas, un bouquet révélateur des interrogations de la société dans ses rapports au monde et au vivant. Et une remise en question du promothéisme scientifique et technique.
On appréciera aussi la qualité des illustrateurs : Philippe & Léo Gontier, Sioxara, Audrey Faury, Okiko, Inès Cherraben, Ferdinand Springer)
La Revue Caliban n°63 consacre sa réflexion à la collapsologie.
Ci-dessous le résumé de cette publication.
Tandis que se développe une fiction d’anticipation centrée sur les effets du changement climatique (communément appelée climate fiction ou cli-fi dans le monde anglophone), de plus en plus de voix s’élèvent, dans la communauté scientifique, non plus pour prévenir une lointaine apocalypse, mais pour constater un effondrement (du climat, de la biodiversité, des ressources énergétiques et, partant, de la civilisation thermo-industrielle) déjà en cours. Le propos de ce recueil est d’accomplir une partie de l’étude technique et anthropologique de ce contexte que proposent les collapsologues, mais en se concentrant spécifiquement sur son impact sur le fantastique, la fantasy et la science-fiction. Il s’agit d’étudier des œuvres récentes qui ont pu être influencées par le contexte d’effondrement en cours, et de relire des œuvres plus anciennes à la lumière du nouveau contexte, d’analyses développées dans une perspective collapsologique, ou d’une réflexion sur la notion d’effondrement.
J’ai l’honneur d’avoir ma nouvelle, « Dans le puits » éditée dans cet ouvrage.
J’ai demandé à mon amie auteure Sophie Herfort, spécialiste de Jack l’Eventreur de nous parler de lui… Un détour par la littérature pour interroger notre représentation de la médecine, et en particulier de la chirurgie.
Le mode opératoire
Si Jack L’Eventreur présente un mode opératoire proche des docteurs et autres chirurgiens de son époque, ce personnage sombre de l’histoire victorienne n’existe qu’à travers l’observation consciencieuse de ses exactions. Son travail de récupération d’organes consistait à inciser ses victimes du sternum ou pubis et ne pouvait refléter qu’une certaine maîtrise des connaissances anatomiques qui rappelle la pratique post-mortem des médecins légistes ou plus exactement le geste sûr du naturaliste. Mon suspect, un certain Melville Macnaghten était un ancien exploitant en thé, officiant en Inde pendant douze ans à Kishnaghur dans une province agricole de Calcutta en Inde où dans sa jeunesse son père Elliot Macnaghten, directeur de la Compagnie des Indes, lui apprit l’art de chasser dans les plaines du Bengale mais aussi l’art de naturaliser ses gibiers et dans ce cas précis, le mode d’incision reste très proche des techniques d’ouverture post-mortem (sternum au pubis).
Cette piste allait m’orienter vers cette pratique des organes prélevés, assimilés à des trophées de chasseur. Il devenait dès lors évident que pour moi, Jack l’Eventreur n’était pas médecin mais bien plutôt un chasseur naturaliste.
Le trophée
Le trophée chez un tueur en série reste la forme de suprématie, de pouvoir extrême, de contrôle absolu qu’un individu pervers, voire psychopathe peut établir sur sa victime. L’acte de cannibalisme constituant là son forfait démentiel le plus abouti en termes de perversion mais là encore, rien ne prouve que ce fut le cas. Ces trophées n’étant là que pour ressusciter sa phase de folie meurtrière pour cet assassin désireux de revivre ses excitations à répétition, les étapes de son meurtre, pour atteindre enfin l’ultime jouissance à travers les organes prélevés sur ces malheureuses victimes et prostituées de l’East-End. Le rein prélevé chez Catherine Eddowes ou bien le cœur chez Marie Jane Kelly sont autant d’actes attestant chez l’assassin de sa volonté de garder le pouvoir sur ses victimes ; il a trouvé par ce biais-là un moyen de nier leur féminité, leur humanité en défigurant celles-ci comme ce fut le cas, même partiellement pour Catherine Eddowes la quatrième victime qui eut le nez arraché ou intégralement chez Mary-Jane Kelly, la petite dernière, la benjamine dite « Ginger » en raison de ses cheveux blond vénitien et puis suivrait l’acte le plus inimaginable commis sur un être humain : le retrait des organes intimes. La forme la plus déviante de cruauté et d’atteinte envers les femmes. L’assassin irait jusqu’à découper le ventre, la poitrine ou les organes génitaux de ses victimes et ainsi opérer des prélèvements. Il lui fallait trouver son trophée d’un soir dans les bas-fonds de l’atelier du monde : Londres.
Lors d’une visite à Garches…
C’est en 2007, lors d’une visite à la morgue de l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches et d’une invitation à assister à une séance de dissection, menée par le Docteur Caroline Rambaud que tout est devenu clair pour moi. L’assassin possédait des compétences chirurgicales mais surtout celles d’un naturaliste, connaissant la disposition des organes avec brio. Je m’étais donc déplacée à la morgue de cet hôpital pour une chose et une seule : tenter de comprendre comment Jack l’Eventreur avait-il pu ôter le cœur de Mary-Jane Kelly, la cinquième et dernière victime de la série, sans casser les côtes du gril costal qui étaient restées intactes.
La réponse me fut clairement avancée par le docteur Rambaud, médecin légiste de l’hôpital de Garches. L’assassin est passé par la matrice (utérus), remontant par le diaphragme pour atteindre par-dessous le cœur et pouvoir l’en extraire sans casser une côte, en suivant le même chemin inverse. Seul un homme expérimenté aux pratiques anatomiques pouvait se montrer capable de tels actes. Le suspect désigné par mes soins, ayant sévi à l’automne de la Terreur en 1888 dans l’East end londonien ne pouvait être que cet homme au passé trouble, ayant subi une éviction des services de Scotland Yard, trois jours avant les meurtres, haïssant plus que tout l’homme responsable de son refus de candidature : le préfet Sir Charles Warren, à la tête de Scotland Yard mais surtout mon suspect avait des motifs plus impérieux.
Dans son journal intime Days of my years, Sir Melville Macnaghten n’a-t-il pas traité les prostituées de « plus bas déchets de l’humanité « ? L’homme de l’Automne de la Terreur qui du 31 août au 9 novembre de l’année 1888 avec son allure ordinaire et son visage rassurant cachait en lui-même tant de monstruosité en lui qu’il fut difficile d’entrevoir l’implication d’un « honnête » gentleman dont le crime fut de percevoir avec un rejet significatif les formes les plus décadentes du commerce sexuel avant de passer à l’acte et d’assouvir d’horribles fantasmes victoriens fort répandus à une époque où dans ces quartiers, une femme sur deux se prostitue et où un homme sur deux méprise ouvertement ces « travailleuses du soir ». « Jack l’Eventreur » était sur toutes les lèvres mais aussi dans toutes les consciences dites « bienveillantes » de la Rule Britannia, à la fois hypocrite et inhumaine. Qu’il ait rejoint les services de Scotland Yard pour y exercer dès 1889 en qualité d’ex-chasseur naturaliste n’étonnera donc personne. Son vice, consistant à détester les femmes de petite vertu, était le propre de plus d’un victorien mais lui seul, a plongé une ville entière dans l’horreur.
Tel fut le comble de l’indécence. Que chacun fut capable d’être à son image mais que la morale constitue le socle dur, le frein au passage à l’acte. Ce misérable n’incarnait qu’une forme déviante bien répandue dans l’esprit du gentleman « bien » sous tous rapports.
Lumières par Jean Audouze, Costel Subran, Michel Menu, préface de Gérard Mourou, Paris, éditions EDP sciences, 2020.
Biographies de la lumière écrites à six mains, trois scientifiques nous font découvrir leur jardin secret. Jean Audouze, astrophysicien et président d’honneur de la Commission française auprès de l’UNESCO ; Costel Subran, spécialiste des lasers et président de la Fédération française des sociétés scientifiques et Michel Menu, chef du département recherche et restauration des musées de France.
Trois jardiniers faisant pousser devant nos yeux les couleurs du visible et de l’invisible ?
Ni guide ni manuel, ce livre s’apparente au genre philosophique du dialogue, genre qui imite les discussions orales, afin de permettre aux lecteurs d’approfondir les domaines concernés. Richement illustré par une iconographie et des dessins variés, il donne envie d’en savoir plus.
D’emblée, la finalité de l’ouvrage est annoncée : « associer la science, la culture et la philosophie aux débats sur la lumière ».
Ces trois passeurs nous présentent trois aspects de la lumière : physique, technique et heuristique.
Et si, au fond la Lumière, source de vie, était le personnage central d’une odyssée de la science, des techniques et des arts ? Une allégorie de la Sagesse au XXIème siècle ?
Fiat lux … Dans la première section, « Lumières du ciel », Jean Audouze nous transporte dans le cosmos et les mystères de l’infiniment grand. Après avoir rappelé les principales caractéristiques de la lumière, il nous explique très clairement l’histoire de l’astronomie marquée par quatre étapes : l’invention des lunettes astronomiques au XVII ème siècle ; l’essor de la radio astronomie après 1945 ; les rayons X et gamma à partir des années 60 ; l’observation des ondes gravitationnelles, émises par la fusion de trous noirs en 2015.
Après l’infiniment grand, l’infiniment petit.
Dans la seconde section, « Lumière des lasers », Costel Subran nous montre combien la photonique est devenue la nouvelle science et technologie du XXIème siècle, tant ses applications sont devenues indispensables dans notre civilisation. Comme son ami Jean Audouze, il donne au lecteur des repères historiques très utiles pour comprendre l’essor de cette science récente. En effet, l’invention du laser date de 1960 et va avoir de multiples retombées, d’abord dans le domaine médical, puis dans tous les domaines de la vie quotidienne avec l’invention des codes- barres en 1974, des imprimantes lasers en 1975 ou la première LED bleue en 1994. Sans oublier les transports avec l’aéronautique ou les télécommunications.
Il en ressort que l’économie de la photonique est devenue mondiale. Sans lasers, adieu fibres optiques, éclairages intelligents, smartphones… et couleurs aveugles.
Dans la troisième et dernière section, « Lumière et art », Michel Menu rend hommage aux chercheurs qui nous permettent de mieux comprendre et mieux préserver notre patrimoine culturel. En particulier à l’anthropologue André Leroi-Gourhan et à son concept de « chaîne opératoire » « compris comme une syntaxe organisée d’actions, associant gestes, outils, connaissances ». (p.160) En bref, l’intelligence de la main !
Retour à la matière. L’œuvre d’art n’est pas une image « pure ». Elle est constituée de matériaux. Essentielle pour élucider les énigmes de certaines toiles ou sculptures, la lumière permet d’étudier les constituants physico-chimiques des tableaux, de caractériser les couleurs, les procédés ou les remords. Elle fournit une méthodologie pour guider les restaurateurs, et tout simplement, l’œil.
En somme, cet ouvrage est comme un jardin à ciel ouvert où l’on a envie de contempler les étoiles, d’apprendre le langage des couleurs des planètes et des nébuleuses, de faire surgir des hologrammes avec des lasers…pour se sentir en osmose avec l’univers.
Jean Audouze, Costel Subran, Michel Menu relient sciences, techniques et art au service de notre bien-être, avec leur regard de passionnés. Et c’est cette passion qui illumine cet ouvrage, au moment où le télescope Hubble prend des clichés des limites extrêmes du cosmos.
Interviewé dans Telerama, le 26 janvier 2021, l’astrophyscien Avi Loeb déclare : « Nous ne sommes pas seuls dans l’univers ». La communauté scientifique invite à la prudence à propos de la découverte d’une « balise », un objet qu’on ne peut pas analyser comme une météorite, baptisé « Oumuama ».
Y-a-t-il des habitants dans les étoiles ? Éternelle question… reposée dans la série OVNI(s) sur Canal + qui veut explorer le registre du paranormal avec humour et réalisme, en s’inspirant du bureau d’investigation sur les ovnis: le GEPAN ( Groupe d’études des phénomènes aérospatiaux non-identifiés) créé en 1977, en France.
En tout cas, « Oumuama » fait le buzz et a le mérite de nous faire oublier le coronavirus, en nous faisant lever la tête vers la voûte étoilée.