Fragments d’une dystopie : POINT FINAL de Sylvie Huguet

Fragments d’une dystopie : POINT FINAL de Sylvie Huguet

Je retrouve avec bonheur le dernier recueil de nouvelles de Sylvie Huguet: Point final aux éditions La Clef d’argent.

Sur le thème, « l’Enfer est pavé de bonnes intentions », l’auteur nous offre dix-neuf variations éblouissantes, dix-neuf variations Goldberg, dystopiques.

Lanceuse d’alerte, l’auteur s’avère une humaniste engagée qui tire la sonnette d’alarme. Le monde qu’elle décrit, si proche de notre actualité, voit le retour de l’obscurantisme religieux ( « Lettre à Voltaire »; « Serment »), du fanatisme (« Les Templiers d’Adam ») et de l’absurde. L’écriture est remarquable: souple, fluide, veinée d’ironie. 

Hymne à la langue française, au style qui permet de souligner l’absurdité de la justice ou l’horreur de la société de consommation, le recueil peut se lire aussi comme les Regrets des humanités. Témoin la nouvelle douce-amère, intitulée « Reconversion »:

« Les dernières années, je restais souvent dans la salle à la fin des cours, pour ramasser les pelures d’orange, les cartouches d’encre vide, les mouchoirs en papier, les emballages de sucreries, les seringues et les préservatifs usagés que les élèves avaient laissés derrière eux. C’était déjà nettoyer la merde. « 

Quelle société voulons-nous? Et plus particulièrement pour les jeunes ? Comment œuvrer au « renouveau des générations », régler le problème des retraites et de la vieillesse? Comment intégrer le handicap?

Sylvie Huguet nous montre des « visions du Futur », et nous met en garde contre des solutions radicales.

A lire et relire éperdument.

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Pour approfondir, H.R GIGER de STANISLAV GROF, éditions Nachtschatten

Pour approfondir, H.R GIGER de STANISLAV GROF, éditions Nachtschatten

Au musée H-R GIGER,  à Gruyères, en Suisse( inauguré en juin 1998) j’ai découvert l’un des ouvrages les plus complets sur l’artiste.

Il s’agit de: HR GIGER and the Zeitgeist of the twentieth Century de Stanislav Grof, aux éditions Nachtschatten.

Malheureusement, l’ouvrage n’existe qu’en allemand et en anglais.

L’auteur explique en quoi les œuvres de Giger représentent les angoisses et les fléaux du XXème siècle: armes atomiques, surpopulation, absurdité de la condition humaine.

 

Pour ceux qui pourront se déplacer au musée Giger, ils pourront découvrir aussi le bar Giger, la dernière entreprise de l’artiste visionnaire, évoquant l’intérieur d’une cathédrale gothique. Mais une cathédrale organique, faite d’os.

Source: Flickr

 

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Etude sur Lovecraft: une approche généalogique de l’horreur au sacré par Lauric Guillaud

Etude sur Lovecraft: une approche généalogique de l’horreur au sacré par Lauric Guillaud

LOVECRAFT : une approche généalogique de l’horreur au sacré de Lauric Guillaud

Paris, éditions de l’œil du Sphinx, 2017, 127 pages, 15 euros.

www.œildusphinx.com

ods@œildusphinx.com

 

 

Très fouillé, l’essai de Lauric Guillaud, professeur des universités, américanophone, comparatiste offre d’emblée le mérite d’être agréable à lire. Dans un premier temps, cet érudit nous retrace le contexte historique et socio-culturel de l’œuvre lovecraftienne comme s’il écrivait une saga.Il nous montre H.P Lovecraft comme l’héritier d’une famille d’écrivains hantés par les mondes perdus.

Dans un deuxième temps, il nous explique comment le maître de l’horreur a forcé le trait: 

« lyrisme et mysticisme sont évacués au profit d’une stratégie de décomposition et de recomposition qui subvertit tout positivisme, toute rationalité ».

S’il paraît évident que Lovecraft a inventé une eschatologie non chrétienne et développé une rhétorique de la répétition et de l’hyperbole, l’étude de Lauric Guillaud dévoile une particularité de l’œuvre à laquelle elle doit aussi sa pérennité: la « profusion des aberrations biologiques (…) et les nombreux intertextes » introduisent des dissonances cognitives dans l’esprit du lecteur. Les écrits lovecraftiens brouillent nos repères spatio-temporels et nous sortent de notre zone de confort.

Mais pourquoi les écrits de Lovecraft nous fascinent-ils tant encore aujourd’hui?

Lauric Guillaud nous donne des éléments de réponse dans la dernière partie de son essai. Aujourd’hui, dans un monde occidental, en mal de repères, parfois même, en plein chaos, les « textes d’horreur contemporaine(…) récrirairaient les allégeances originellement religieuses »…

En bref, Lovecraft n’est pas qu’un simple raconteur d’histoires de monstres; c’est un penseur ou plus exactement « (un) imagier » du Mal. A notre époque troublée, le genre fantastique se substitue aux mythes platoniciens pour nous révéler « ce qu’une culture préfère taire« .

L’approche de Lauric Guillaud dessine donc une généalogie de l’inconnu, qui nous renvoie à nos structures limitantes, avec beaucoup d’esprit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Source: Flickr

Revue Phénix: la fin de la conscience analytique; l’avènement de la conscience intuitive.

Revue Phénix: la fin de la conscience analytique; l’avènement de la conscience intuitive.

phenix-n59-graham-masterton-et-frederic-livyns-300x300« Comment faut-il agir lorsque l’irrationnel surgit? Nous sommes conditionnés à croire en une certaine forme du réel, et nous nous trouvons démunis dès lors que celle-ci est égratignée. Dépasser les frontières admises de notre univers commun expose à la folie, en tout cas à la marginalité« .

 

Cette citation tirée de « L’archiviste » d’Emmanuel Delporte, parmi les nouvelles inédites, à la fin de la revue mythique de l’imaginaire, PHENIX, pourrait servir de liminaire à la poétique des auteurs réunis ici, à commencer par le plus célèbre d’entre eux: le pape de l’horreur écossais Graham Masterton, né en 1946.

Comme l’explique l’écrivain belge et auteur lui-même de plusieurs romans et nouvelles récompensées par le prix Masterton, Frédéric Livyns: «  Graham Masterton exploite un vivier inépuisablede légendes et de mythes pour le mettre au service des ses récits ».

La culture de Masterton lui sert non seulement à composer des intrigues complexes mais à interroger le sens de l’histoire ou des pulsions humaines.

Le registre de la terreur peut servir dans cette optique, à déconnecter notre conscience analytique.

Comme cherchent à le prouver actuellement les scientifiques, neurologues et biologistes, la conscience n’est pas contenue dans le cerveau tel un cornichon dans un bocal. Selon le docteur Charbonier, anesthésiste, s’intéressant aux EMI, la conscience serait même extraneuronale et permettrait d’avoir accès à des perceptions temporelles, à des individus décédés… et pourquoi pas à un insconscient collectif parfois chargé, très chargé …

Les nouvelles publiées dans ce numéro 59 en témoignent. « La Symphonie roumaine » de Frédéric Livyns joue avec les nerfs de son lecteur mais aussi avec sa raison, lui montrant que la notion de temps est une illusion cognitive. L’expérience de la journaliste Cathy séquestrée par un « vampire de littérature » ressemble à celle des mystiques détournée en conte néo gothique.

Chaque écrivain retenu par Marc Bailly et Denis Labbé incarne à sa manière un « archiviste du royaume des morts ». Les auteurs français ne font pas exception à cette règle.  Même la nouvelle de Pierre Brulhet, intitulée « Le Survivant », la plus lisse à première lecture, déploie un paradigme de la conscience intuitive extraneuronale. Dans une atmosphère de « pulp », délicieusement rétro, le lecteur se retrouve très vite face à une énigme, « un homme-tronc », et ne comprend pas en quoi celui-ci peut être un « monstre ». Sa raison c’est-à-dire sa conscience analytique aurait tendance à édulcorer les faits et à compatir face à ce personnage. Quid d’un handicapé?  L’horreur réside dans le dévoilement de l’illusion cognitive: l’homme-tronc souffre de cannibalisme… Lors d’un accident, cet homme a perdu son humanité, au point de s’attaquer à sa propre chair.

Comment peut-on perdre son humanité ?

Sophie Dabat en donne son interprétation magistrale dans « Papa, maman, l’inceste et moi ». Une fugue des ténèbres sur les thèmes entrelacés du mal et de la « putréfaction ». En écho à cette voix féminine, Jess Kaan nous livre sa vision très personnelle de la possession, dans « Magic Queen of Depression », avec Alexis, un jeune paumé, dont les mains couvertes de stigmates, rappellent l’assassin Harry Powell dans le film, « La nuit du chasseur »(1955) de Charles Laughton. Tous les protagonistes de ces récits se révèlent possédés par des forces qui les dépassent et les poussent à agir contre toute morale.

Avec un humour grinçant, Gulzar Joby, dans « Underground »nous donne un aperçu d’un futur féodal et sectaire, dominé par « la lubie de la rédemption ».

En somme, on peut dire qu’après treize ans de silence, les collaborateurs de la revue PHENIX nous montrent surtout selon une formule moins connue d’Einstein, qu’innover c’est penser à côté.

 

Résurgence: retour de la revue mythique Phénix

Résurgence: retour de la revue mythique Phénix

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Phénix n°59 : Graham Masterton et Frédéric Livyns


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Collection : Phénix

 

Après treize ans de stase dans le cosmos de l’imaginaire, la revue belge Phénix revient troubler nos esprits.

Dans ce numéro 59, les connaisseurs et les néophytes trouveront un dossier détaillé, consacré à deux maîtres de l’imaginaire et de l’horreur, en particulier Graham Masterton… et aussi des nouvelles d’auteurs français dont je vous reparleraiultérieurement.

 

Sortilège de Christian Jougla: entre La Colline de Giono et Les Hauts du Hurlevent d’E. Brontë

Sortilège de Christian Jougla: entre La Colline de Giono et Les Hauts du Hurlevent d’E. Brontë

Sortilège de Christian Jougla, éditions La Clef d’Argent, 2016, 385 pages, 15 euros

Ancien viticulteur, homme de théâtre, Christian Jougla a transposé son sens de la mise en scène dans son roman intitulé SORTILEGE. Le cadre de son intrigue se situe dans un lieu peu courant dans les romans actuels, le Larzac, « frontière d’un autre monde ». Mais il n’a rien d’un roman régionaliste à l’intar des textes de Giono ( dont beaucoup sont méconnus).

Jim Woodward, « amateur de lieux sans espoir hantés par tous les vents », est venu s’installer dans le Larzac. Il se lie d’amitié avec Paul Galestre, l’un des anciens des causses qui le présente ensuite à un étrange personnage, le docteur Once, médecin des fous. Il fait ainsi la connaissance de divers personnages que je qualifierai de « hauts en noir ». Tous incarnent à leur manière le « sortilège » de cette terre qui échappe à la rationalité.

Comme l’explique Paul à Jim, « la nuit du Larzac est sœur des grandes ténèbres, celles des espaces sidéraux où habite le néant. Et cependant, même dans cette nuit éternelle jaillissent parfois d’effayates lueurs… »

Or Jim est un grand rêveur du noir tout au long de ce récit, rejoignant l’antique rêverie des alchimistes qui cherchaient le noir plus profond que le noir: « nigrum nigrius nigro ».

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