NOTRE-DAME DE PARIS

NOTRE-DAME DE PARIS

 

Notre-Dame est bien vieille ; on la verra peut-être
Enterrer cependant Paris qu’elle a vu naître.
Mais, dans quelque mille ans, le temps fera broncher
Comme un loup fait un bœuf, cette carcasse lourde,
Tordra ses nerfs de fer, et puis d’une dent sourde
Rongera tristement ses vieux os de rocher.

Bien des hommes de tous les pays de la terre
Viendront pour contempler cette ruine austère,
Rêveurs, et relisant le livre de Victor…*
– Alors ils croiront voir la vieille basilique,
Toute ainsi qu’elle était puissante et magnifique,
Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort !

 

Extrait de « En marge des petits châteaux de Bohême »

 

Gérard de NERVAL

(1808 – 1855)

 

* Le roman de Victor Hugo avait paru en 1831.

 

Autoportrait d’un loup solitaire
Fortis imaginatio generat casum( Une forte imagination produit l’événement) : La Déception des fantômes de Céline Maltère

Fortis imaginatio generat casum( Une forte imagination produit l’événement) : La Déception des fantômes de Céline Maltère

La déception des fantômes, nouvelles, Céline Maltère, éditions La Clef d’Argent, 274 pages, 13 euros.

 

Je n’ai pas eu le loisir de rencontrer de visu Céline Maltère, mais nous partageons le même attrait pour le Bizarre, la culture antique et la même exigence stylistique.

 

La Déception des fantômes, son dernier recueil paru aux éditions La Clef d’Argent, est un régal. Contrairement à beaucoup d’auteurs, happés par leur sujet, Céline Maltère cisèle ses textes sans fioritures et leur imprime un rythme. Excellente nouvelliste, le lecteur ne peut guère présager la fin imaginée par l’auteur. Ainsi, dans « Les punaises », la vraie punaise n’est pas un insecte, mais une jeune femme rancunière.  Dans  » Lucia », Hécate malgré ses pouvoirs ne pourra sauver son amante de la mort. 

Dans ce livre, Céline Maltère renouvelle le registre du fantastique en mêlant dieux et mortels, animaux et êtres humains, vivants et revenants. Ses nouvelles ne sont pas exemptes de cruauté. « La Verrière » offre une variation sur le savant fou au féminin et une descrition du « phlegmon » abominable. Mais l’impression qui en ressort est autre : chaque personnage est intrinsèquement seul.Et surtout chaque personnage semble, à un moment donné devoir affronter l’écart entre sa vision de la réalité et le réel. Supplice, déception. Témoin Gemma, dans la nouvelle éponyme :

« Regardant autour d’elle, Gemma se demanda ce qui l’avait retenue toutes ses années du côté des vivants, à supporter le vide et les reflets vains de l’amour, tous les espoirs déçus ».

Malgré tout, ces textes démontrent la véracité du proverbe latin : fortis imaginatio generat casum ( une forte imagination produit l’événement). Sans doute davantage pour l’auteur que l’on sent passionnée par les mots, « ailes lancéolées », et pleine d’humour:

« J’aurais tant voulu voir quelle tête avait Elsa quand elle tira la langue au peintre, persuadée qu’il voulait l’épouser ».

Céline Maltère connaît bien la langue française, laquelle, ne la déçoit jamais, à notre plus grand plaisir, nous qui sommes peut-être aussi des fantômes souffrant de notre peu de réalité.

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CHEVAUCHANT LE VIDE de Marc-Louis Questin : exercice spirituel

CHEVAUCHANT LE VIDE de Marc-Louis Questin : exercice spirituel

Chevauchant le vide, 333 haïkus, éditions Unicité, 13 euros.

 

 

Le haïku est la forme retenue par Marc-Louis Questin dans ce recueil qui procède de la même vision du monde baignant tous les écrits de l’auteur: comment accéder à l’infini ?

Dans la société qui est la nôtre, écrire est déjà une gageure ; écrire un poème, une provocation. Que dire, d’écrire des haïkus ?

Marc-Louis Questin lance le gant pour une joute, sans espoir d’être un champion:

« Repenser la vision

Qui circule dans les rêves

D’un présent éternel ». 

 

Face au vide, le poète ne se soucie plus de s’insérer ou non dans l’Histoire, pris par des univers mutiples où il se souvient de son enfance, de sa famille et de toux ceux qui peuplent son parc de mémoire(s). Brièveté essentielle du haïku qui dissout les faux-semblants autant que les mots superflus. Alchimie du verbe et en même temps art de l’impromptu si cher aux peintres d’Extrême-Orient.

Jamais  cette forme n’aura signifié autant dans sa quintessence, dans un univers gangrené d’images, de paillettes et de fausses informations.

C’est une poésie de la conscience insurgée, 

« Admirable visage

Traversant le miroir

des princesses de l’abîme ».

 

Et surtout une poésie qui établit des points de convergence entre le lecteur, l’auteur et ses perceptions.
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Novembre sans spleen : une cosmogonie parisienne du fantastique

Novembre sans spleen : une cosmogonie parisienne du fantastique

Si Nantes accueille les Utopiales en ce moment, Paris accueillera la 7 ème édition du Salon Fantastique début novembre ( du 2 au 4 ) où je me rendrai avec plaisir.

Je sais que mes amis des éditions de l‘œil du Sphinx  y seront présents, ainsi que tous ceux que je côtoie depuis des années, tous ceux qui tracent les cartes d’un espace intérieur commun.

 

Le 22 novembre, ce sera la dernière réunion du Cénacle du Cygne à la Cantada, le bar mythique de l’est parisien, dédié à l’élan créateur.

J’ai hâte de revoir Marc-Louis Questin en maître de cérémonie et ceux qui l’entourent de mots et de musiques.

 

Cela fait si longtemps désormais que je me passionne pour cette planète de moins en moins interdite, et de plus en plus habitée par de nouvelles générations.

La souplesse d’esprit est une qualité à transmettre, en même temps que la curiosité pour d’autres formes de langage.

Non, les livres ne maintiennent pas à l’écart d’autrui, au contraire, ils permettent le dialogue, la discussion voire la confrontation avec l’autre, si utiles en milieu urbain.

Parfois, nous cachons aux autres que nous sommes des créatures de l’angoisse, ce que nous révèle la littérature fantastique. Mieux encore, cette littérature de « genre » nous désinhibe, nous démontrant que le plus important est d’être sincère avec soi-même.

Résonne cette phrase de Rilke :

« Les œuvres d’art sont toujours le produit d’un danger couru, d’une expérience menée à son terme, jusqu’au point où l’homme ne peut plus aller en avant ».

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Découverte de l’été : Le Soupir de l’immortel d’Antoine Bueno

Découverte de l’été : Le Soupir de l’immortel d’Antoine Bueno

 

Source: Flickr

Le Soupir de l’immortel, éditions Héloïse d’Ormesson, 637 pages.

Voici un roman étonnant dans le paysage romanesque français ! Tout lecteur post-pubère reconnaîtra l’intertexte du Meilleur des mondes d’A. Huxley. Et les lecteurs de science-fiction se rappelleront les œuvres de P. K. Dick.  Mais ce roman est aussi un roman politique écrit par un esprit fin connaissant les arcanes du Sénat et enseignant à sciences po.

D’où cette dystopie sur les méfaits de l’ultralibéralisme et les dérives du transhumanisme très critique et très drôle. Avec une verve rabelaisienne, un comique verbal peu courant dans la prose française d’aujourd’hui, souvent racinienne,  Antoine Bueno jongle avec les néologismes, les calembours et déploie sa fiction sur terre, mais aussi dans l’espace, au temps des entités domotiques, des couveuses d’êtres humains bigenrés et de la « trithérapie contre la mort ».

J’ai lu ce roman en lisant Un roman français de F. Beigbeder et j’y ai retrouvé des similitudes : histoire de la France des années 60-70 chez Beigbeder, et histoire d’une France reconfigurée dans un futur proche ; satire de la famille et de ses rites sclérosés.

Chez Antoine Bueno, on a le récit d’une campagne électorale en même temps que les portraits du clan Karl Carnap en lutte contre le clan Antoine Proudhon, tous décalés.

Ce qui m’a le plus intéressée dans ce roman d’anticipation, c’est la réflexion de l’auteur sur la problématique des subcultures. De fait, l’univers du jeu vidéo par exemple, sert de mise en abyme à cette société « holographique ». La réalité virtuelle permet aussi d’interroger les questions du genre et de la sexualité. 

Les personnages sont hermaphrodites et se livrent à des ébats polymorphes dans un cadre sacralisé ou plutôt désacralisé par Antoine Bueno.

Dans ce récit, il cisèle son intrigue avec une approche d’ethnologue car il montre les conséquences d’une société du « numerus clausus » où seuls les riches peuvent adopter un véritable enfant. Il montre également l’émergence des nouvelles spiritualtés dans une société normalisée, mettant en scène l’errance de John Stuart-Minh, l’un des fils  » Bêta » de Karl Carnap. Ainsi ce dernier découvre-t-il « l’école néo-platonicienne de la réconciliation cosmogonique », une « jeune secte… comparée à celle, plus récente, des néo pythagoriciens de la Révélation numérique ».

Ces subcultures qui sont mises en perspective dans Le Soupir de l’Immortel sont des champs d’expérimentation à la fois esthétiques ( On pense au LieuduTout, la « synthèse des acquis archisturaux de l’humanité », hommage à Carroll et Borges), sociales (cellule famiale recomposée autour de la notion de l’adoption d’un(e) pupille et de la « vitriparité »), scientifiques ( techniques de jouvence), sexuelles ( bisexualité et retour à l’Eden), religieuses ( la communion se fait par « synapses bucco-génitales »), esthétiques ( la musique omniprésente dont le rap).

Le lecteur-philosophe est confronté à une anthropologie des temps présents et des futurs vraisemblables. 

Et si les idées se propageaient comme les virus ? Antoine Bueno nous demande le pourquoi et le comment.

Sans doute nous dit-il d’aller à l’essentiel, de lire entre les lignes : le monde a changé, s’est fluidifié. L’important est d’en rire et de réfléchir, pour ne pas en avoir peur.

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Dernier témoignage : prose pour Gerald Messadié

Dernier témoignage : prose pour Gerald Messadié

 

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Hommage à Gerald Messadié

 

Gerald a été baigné par la lumière du Nil, éclairé par un soleil cru à force d’intensité.

D’où peut-être ce regard incisif au sens propre et figuré. 

Il a incarné la puissance solaire d’un signe de feu, la détermination d’apporter la lumière sur des faits oubliés ou des phénomènes inexpliqués.

 

Né sous le signe du Lion, Gerald n’a jamais eu les yeux en dessous.

Il vous regardait toujours droit dans les yeux comme s’il voulait savoir quel animal il avait devant lui. Adorant les animaux, ce grand écrivain croyait à l’importance de la communication non verbale, aux phéromones de l’attraction et de la répulsion.

Comme il nous l’a écrit à Etienne et moi-même en 2014, « dès son plus jeune âge, il considéra le logos adulte comme un costume de scène que les adultes enfilaient quand ils se présentaient aux regards… »

 

Notre amitié est née grâce à un livre que j’étais en train d’achever sur une femme au verbe haut, Maria-Deraismes. Mon nom de jeune fille « Leloup » avait dû l’amuser. Il appréciait d’ailleurs les loups au point d’avoir peint un tableau avec un loup totémique en colère…

 

Notre amitié s’est développée au fil des rencontres de travail et des échanges plus personnels. A chaque rendez-vous dans le VIIIème, il plongeait son regard vert dans le mien comme pour s’assurer de ma sincérité, attentif à tous les détails de ma mise. 

J’étais impressionnée par son érudition, son humour et sa délicatesse dans les relations humaines. Il se montrait aussi affable avec un serveur, un petit vendeur de fleurs qu’avec un notable. 

 

Pour lui, la qualité des relations humaines primait sur les conventions sociales et les artifices de la société de plus en plus gangrenée selon lui par l’image et l’argent.

Il savait regarder au-delà des apparences, se préservant du mauvais œil auquel il croyait.

Toutefois, par courtoisie, il savait sauver aussi les apparences pour ne pas embarrasser ses proches.

 

Plus tard, il nous regardait tour à tour Etienne, mon époux et moi-même, avec affection et malice. Malgré le poids des souvenirs, ses yeux pétillaient quand il nous racontait ses aventures aux quatre coins du monde ou qu’il se mettait à fredonner une vieille chanson d’Edith Piaf ou de Zarah Leander.

 

Il y a quelques semaines, au Victoria, le restaurant où nous dînions ensemble le dimanche, avec Etienne,  de nouveau nous avions eu cet échange de regards. Mais cette fois, il n’avait pas insisté. Il avait presque baissé les yeux.

Je n’avais rien dit, mais j’avais deviné qu’il souffrait. 

 

Il avait compris que j’avais compris.

Il attendait le coucher du soleil pour retrouver sa retraite.

Esquiver les regards apitoyés.

Et surtout les scanners.

Aujourd’hui, il est retourné vers la Lumière, nous laissant le rayonnement de sa présence, de son rire et de ses livres. 

Des photographies de sa jeunesse le représentent comme un « beau ténébreux ».

 

Mais pour Etienne et moi, Gerald est une comète scintillante des mille feux des gemmes dont il chérissait les vertus : vert malachite et bleu lapis-lazuli, beau comme une sculpture égyptienne, à jamais indestructible dans l’hypogée de nos cœurs.