Avec une plume toujours délicate, Céline Maltère nous entraîne dans un nouveau voyage intérieur, au cœur d’une forêt..
Mêlant l’Histoire, des faits du XIXème siècle et l’actualité – la controverse sur la chasse- elle sait brouiller les pistes et jouer à merveille les Diane écrivaines. Difficile de résumer un tel écrit qui interroge les catégories d’autofiction, de roman poétique et de chronique historique. Qui a incendié en 1925 le château de Randan en Auvergne ?
Comme à son accoutumée, l’écriture est ciselée. C’est un ravissement d’essayer de suivre Abèle, la jeune enquêtrice qui porte bien son prénom…
Editions Les Arènes, Paris, 272 pages, 25 août 2022.
Éditions Les Arènes
Prophétie, cauchemar ou crise salvatrice ?
Les algorithmes sont-ils en train d’empoisonner l’humanité ? Et si la Silicon Valley ne représentait plus le rêve américain, mais l’antichambre d’une machine policière infernale ?
À Los Angeles, Achille, un professeur d’éthique numérique ne donne plus signe de vie à personne. (La description du personnage m’a fait penser au philosophe français Olivier Abel, professeur de philosophie et d’éthique à Montpellier, auteur de L’Ethique interrogative : Herméneutique et problématologie de notre condition langagière en 2000.)
L’un et l’autre possèdent un point commun : ils posent trop de questions.
Avec une pointe de mélancolie, Achille se rend compte qu’il a connu un autre temps : « Ce temps où l’on allait se noyer dans une bibliothèque pour affûter ses connaissances afin de déchiffrer les mystères du vivant est loin derrière nous. L’effort intellectuel a été enterré et, avec lui, l’imagination.» (p.85)
Se sentant en danger, il cherche à protéger la jeune femme qui évolue dans la sphère de l’art contemporain. Circulant entre Los Angeles et Paris, celle-ci va se retrouver au cœur du cyclone, celui de la crise sanitaire et d’une situation apocalyptique.
En acceptant de faire le portrait de Palantir, le magnat du numérique, elle « expérimente la haine » parce qu’elle expérimente en même temps le cynisme de son modèle, emblème du moi-je et du je-fais-ce-que-je-veux. Pour le lecteur, Palantir évoque la folie d’un Big Brother, la démesure d’un hyper riche et le sadisme d’un tueur en série. L’incarnation d’un égocentrisme exacerbé niant l’altérité et les aspirations des autres. Une seule valeur subsiste : l’argent.
Palantir n’arrive pas à museler celle qui cherche à lui dérober ses secrets en fixant ses traits sur une toile. S’ensuit un combat psychique entre deux volontés …
La vitesse narrative et le talent visionnaire de Pia Petersen me font du bien, sans doute parce qu’il ne s’agit pas de la nième prose post- dix-neuvièmiste sur la famille ou la nième marmelade feel-good en tête de gondole, mais d’un roman philosophique. Une série d’interrogations. Cela ne pourrait être qu’une fiction sur la consommation et les boîtes noires ; c’est le miroir de notre époque, la séduction que peut exercer le pouvoir absolu sur les individus, l’amoralité de l’économie, cette science qui nous gouverne tous.
J’aime le style incisif de la romancière, l’humour décalé des titres de chapitres. Ce livre se lit facilement, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il est facile à appréhender.
Grâce à Pia, nous découvrons que l’idée de liberté est la plus dérangeante de toutes, en particulier dans un monde où l’on peut effacer toutes vos données. Heureusement cette littérature redonne du souffle à nos accès au réel et nous encourage à aller de l’avant.
Sans pal, sans tir, avec la salve des mots. La vengeance des perroquets, prodrome d’une nouvelle page de l’Histoire ? D’une nouvelle façon d’aborder le langage ? La question ne tue pas l’acte ; elle l’innerve.
Quand je serai grand, je serai mort, contes déliquescents, Nicolas Liau, préface de Claude Lecouteux et postface de David Dunais, éditions Flatland, « La Fabrique d’horizons », septembre 2020, 188 pages, 14 euros.
J’avais déjà lu des nouvelles de Nicolas Liau, l’univers du fantastique français étant bien circonscrit.
Paru chez Flatland éditeur, « la fabrique d’horizons », cette édition a été revue par l’auteur. ( première édition en 2020)
Pour les amoureux du fantastique, et les non spécialistes, la postface de David Dunais a le mérite de remetttre ce recueil dans une perspective historique : « Nicolas Liau s’inscrit dans une tradition littéraire« ( p.180)
On rappelle peu la mode de l’inspiration fantastique au XIXème siècle, corrélée au romantisme sauf dans les manuels scolaires. On a oublié la renaissance de l’irrationnel à la fin du XVIIIème siècle sous l’influence de Swedenborg, Saint-Martin ,Martines. Trois illuminés ou trois mystiques selon les perceptions de chacun par rapport à l’ « occulte ».
Nicolas Liau fait revivre tout un pan de cette histoire littéraire, proche de Lautréamont par son écriture poétique de l’excès, proche de Villiers de l’Isle-Adam par la densité philosophique de ses « contes ».
Contrairement à beaucoup de ses contemporains, l’écrivain travaille son style, essaie de se forger un lexique, une syntaxe propre à saisir l’horreur de Thanatos. Cléore, la morte-vivante dans « Lange et linceul » met en abyme le rapport de l’écrivain avec sa muse: « Gare aux mots…! »
Toutefois comme les petits maîtres du XIXème siècle et les écrivains de 1830, il y a dans son recueil une mélancolie faisant écho à la réalité de 2021 : individualisme forcené, prise de pouvoir des personnages féminins sur les autres protagonistes, croyances en déliquescence comme ce couvent en ruines évoqué dans le recueil. Si elle n’est pas nommée, l’actualité affleure par petites touches.
L’écrivain nous incite à ne pas détourner notre regard des montres tapis dans la psyché humaine, dénonçant peut-être les « songe-creux », incapables de vivre ici et maintenant.
Une critique en filigrane de la platitude et de la légéreté agitant nos contemporains ?
Chez Nicolas Liau, lucidité, désanchantement , « rêve noir » composent un alcool fort. Très fort.
À vue, dernier recueil de poèmes en prose de Raymond Beyeler, poursuit l’exploration intérieure du poète Valéry Larbaud (1881-1957), grand voyageur lui-même.
Bipartite, le recueil rend en effet hommage aux « villes », fleurons d’une modernité appréciée (Baltimore) ou recréée (Parme). Le souci de délicatesse explique peut-être le choix de la prose pour rendre plus vivante la matière de ces cités, ainsi que leurs œuvres.
Derrière les « masques singuliers » perce l’angoisse de perdre l’écriture, cette « substance » qui « fait des gestes », « apprend à penser ». À cet égard, mon poème préféré s’intitule « Der verlorene Buchstabe » (La Machine à écrire perdue). Beaucoup plus que l’éloge de l’outil, le poète fait le constat de notre époque où « le verbe n’imprime plus, la ponctuation s’annule ».
Au-delà des poses et des rôles, le poète montre la voie de l’authenticité, celle de la « miséricorde », tandis qu’il tente de « perpétue(r) l’amour des signes ». La seule action de ces témoignages réside dans cette exploration intérieure où la « vue » se convertit en traces. Le poète fait résonner médiation entre les sens et méditation du Beau suprême.
Raymond Beyeler vit et travaille à Paris. Il est aussi comédien et auteur de nombreux recueils de poèmes, la plupart primés.
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