Le Sacre du Noir de Lauric Guillaud, Editions Cosmogone, Lyon 2018, 28,80 euros.

 

Spécialiste de littérature comparée, professeur d’université passionné par l’ésotérisme, Lauric Guillaud vient de publier un essai magistral qui illustre parfaitement le titre et le programme de ce blog : Symboles et Analogies.

Parti du constat que le gothique ou plutôt le pré-gothique commence au XVIII ème siècle en Angleterre et en Allemagne, il montre que l’angoisse existentielle a nourri tout un courant littéraire, en même temps qu’elle a recréé des rituels en franc-maçonnerie, sur le modèle des rites et pratiques antiques.

Le Noir n’est pas maléfique : il est générateur de réflexion et de créativité en Europe, mais également en Amérique. Même les « puritains, en quête de paysage spirituel, cherchent dans la nature les « ombres des choses divines »(p.69).

Le Noir dissout les catégories logiques : les héroïnes de Radcliffe comme les futurs initiés « ont besoin d’un décor qui joue un rôle de premier plan, décor sombre et moyenâgeux pour le gothique, décor en phase avec le rituel pour le maçon ». Une topologie unit imaginaire gothique et maçonnique : « tous deux sont polarisés par l’architecture et l’obsession des ruines ».(p.132)

En matière d’art, les imaginaires se répondent comme si tout ce qui semblait avoir été peint, dessiné, écrit, composé… restait pourtant à être deviné, décrypté… rappelant que l’ombre n’existe pas sans la lumière.

En matière d’Histoire, l’imaginaire gothique est prémonitoire, ne cherchant pas à édulcorer la Terreur et la folie du sang répandu.

Noir n’est donc pas si noir. La littérature gothique comme la littérature maçonnique a une fonction cathartique. Elle célèbre une esthétique du dévoilement :

« En définitive, le gothique n’encense l’enfer que pour mieux quêter le paradis(…)rétablit dans ses droits la peur afin de réhabiliter le sacré dans une société qui l’évacue au nom d’un progrès desséchant ». (p.294)

Gothiques et maçons repensent la Mort évacuée au XVIII ème siècle et qui revient – retour du refoulé – dans la fiction et les rituels. Les uns et les autres proposent une scénographie du macabre qui devient « propédeutique » chez les initiés.

La mise en scène de la Mort est souvent plus excessive chez les gothiques. «Toutefois, il existe un lien fort entre gothiques et maçons, c’est le sens du Mystère…» (P.229)

D’où la magie, le nimbe noir de cet imaginaire nocturne commun à la littérature gothique et à la franc-maçonnerie. Notons enfin que Lauric Guillaud réhabilite les écrivains gothiques, souvent considérés comme des moutons noirs par les puristes de la littérature, en particulier française. Et si l’imaginaire nocturne nous permettait d’aller mieux, tout simplement?  Et s’il nous invitait à accepter nos contradictions ?

Grâce à Lauric Guillaud , j’imagine une Ferrari noire me servir de taxi pour explorer les « seuils ordaliques » qui ponctuent mon labyrinthe intérieur. Un jardin noir. J’imagine une Ferrari, parce que personne n’a vu de Ferrari servir de taxi  et encore moins de Ferrari noire conduire au cabinet de réflexion.

Noir comme de l’encre. La littérature mêle les vivants et les morts. La vie et la mort ne font qu’un, nous apprennent récits, romans, poèmes et rituels. Tant que les êtres humains vivront et rêveront, ils feuilletteront les pages où les caractères noirs dansent sur les pages blanches.

Noir comme rythme.

Je pourrais parler longuement de la qualité de cet essai. Il faut le lire car c’est un fonds de bibliothèque. Et c’est un voyage. Tout un monde de crêpe et de velours noir. L’odeur métallique du sang et le parfum de la violette. La bouche cuite par trop de poussière et de vent. La nuit noire où il y a tout à voir.

 

L’essai magistral de Lauric Guillaud