Si l’héroïne Katia Trismégiste ressemble à la « Comtesse sanglante », née en 1560, en Hongrie, elle rappelle les très anciennes déesses païennes qui ont inspiré « la matière de Bretagne » et fait émerger la figure de fées ou de sorcières. Pourquoi ce surnom de « trismégiste »? On songe bien sûr à Hermès trismégiste, passeur de la Tradition primordiale.
La reine Katia est fascinée par les sciences secrètes, l’alchimie et l’anatomie. Si Céline Maltère en fait une reine cruelle, sadique, elle en fait également une figure de femme libre qui critique les préjugés liés à son sexe. Témoin l’étonnant dialogue entre le sage kabbaliste Éléazar et la reine venue lui demander de l’aider à réaliser son Golem féminin :
« L’instinct maternel n’est qu’une fable, qu’on se plaît à cultiver dans l’esprit des petites filles…
J’aimerais prouver, par toutes mes expériences, que la création est supérieure à la procréation ! « (p.181)
L’auteure aime revisiter les mythes dans son œeuvre et on reconnaît ici le clin d’œil à Prométhée.
Ce qui m’a intéressée dans ce récit, c’est ce que recouvre le terme « trismégiste ». L’universitaire Georges Bertin explique l’importance de cette triade du féminin dans une communication intitulée « Des trois Yseut aux figures de la femme et visages du temps dans la littérature arthurienne » ( in Gentes dames et méchantes fées, éditions Mens Sana, 2014.) :« Dans l’univers indo-européen d’où nos mythes sont issus, les contradictions par la loi de l’Amour ( ou attraction universelle) sont résolues, symbolisées certes par trois dieux mâles mais encore, en redoublement, par trois déesses ou par la grande déesse et ses avatars : Kâli, ou la connaissance, déesse du temps, Tara, Étoile ravageuse ou la déesse qui mène les bons voyageurs sur l’autre rive, Siddha-Râtri ; déesse des sphères, symbole du temps ». (Op. déjà cité, p. 67)
Or Katia incarne ces trois visages du Temps. Elle est Kâli, celle qui passe des heures « dans son laboratoire à recoudre » des corps féminins. Elle est Tara, guerrière, fascinée par la monstruosité, capable d’assister sans peur à des rituels de chamanisme. Et elle est Siddha-Râtri, celle qui se concilie les bonnes grâces du « Prinus de la Toundra », un être mutilé, « descendant d’Hypnos ». Elle est l’éternel féminin, la « trois fois puissante ».
Un roman pro féérique construit à partir de nombreuses références et écrit dans un style à la fois alerte et ouvragé. Katia trismégiste est la Kundry d’un récit de fantasy, en même temps que le fantasme le plus achevé d’une « maîtresse femme ».
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