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Publié avant le confinement, le premier roman de Christophe Matho, Orazio, sonne comme un bon oracle.*
Traversée d’un XXème siècle fasciste et d’un XIXème siècle rustique, ce récit enchâssé nous invite à redécouvrir les contes et légendes du Berry, immortalisés par George-Sand. Peu encline à la superstition, celle-ci a en effet publié un essai, Les Visions de la nuit dans les campagnes (1851), un recueil de Légendes rustiques (1858), dont un chapitre s’intitule Le meneu’ de loups. Un an auparavant, Alexandre-Dumas y consacrait lui aussi un roman, Le Meneur de loups.
Qu’est-ce qu’un meneur de loups ? Le manuscrit retrouvé de George-Sand, thème et objet d’Orazio répond à cette question: « Les meneurs de loups sont des sorciers qui ont la puissance de fasciner les animaux sauvages, de s’en faire suivre et de les convoquer à des cérémonies magiques dans les carrefours des forêts« .(p.130)
Si Christophe Matho nous rappelle l’importance de la tradition orale dans nos campagnes, il nous délivre un message plus universel. Le sorcier du terroir ne s’est jamais coupé de ses racines. Ne s’agit-il pas de retrouver aujourd’hui une harmonie avec la Nature ? Le meneur de loups ne serait-il pas une incarnation nostalgique d’une parole perdue, celle d’une communication avec le monde animal ?
Mais ce roman est surtout une « mise en abyme » de la littérature et de ses pouvoirs, c’est-à-dire une modalité autoréflexive d’un texte et de ses procédés. En 1893, André-Gide écrit dans son Journal : « J’aime assez qu’en une œuvre d’art on retrouve ainsi transposé, à l’échelle des personnages, le sujet même de cette œuvre« .
En se mettant en scène , éditeur devenu légataire d’un manuscrit de George-Sand, Christophe Matho montre subtilement en vrai chamane littéraire comment un livre agit sur son auteur(e) et sur son lecteur, comment il les charme. L’idéal de l’écrivain est peut-être proche du meneur de loups : réconcilier animalité et humanité ; lutter contre l’effondrement de la mémoire ; éveiller des âmes vibrantes.
* »Le loup n’est peut-être pas là où on l’attend ». (Orazio, Op. déjà cité, p.161)