Droit à l’avortement en France
Vote à l’Assemblée du 9 octobre 2020 : Marianne étendue sur des draps écarlates ?
Par Fabienne Leloup
Quand la série « La Servante écarlate », d’après le roman de Margaret Atwood, vous a fait frissonner, vous avez sûrement pensé : c’est de la science-fiction. Sauf qu’« en France, les avortements clandestins existent encore », martèle Nathalie Trignol-Viguier, médecin généraliste et co-présidente de l’ANCIC (Association Nationale des Centres d’IVG et de Contraception) et que des femmes partent toujours à l’étranger pour avorter.
Si la loi Veil pour le droit à l’avortement remonte au 17 janvier 1975, en 2020, l’avortement continue à toucher toutes les femmes, toutes catégories sociales confondues. Cependant, toutes n’ont évidemment pas les mêmes moyens financiers, ni les mêmes accès aux soins. Ainsi, les conditions ne sont pas identiques, notamment en ville ou à la campagne.
Depuis le 4 juillet 2001, avec la loi Aubry-Guigou, les femmes peuvent avorter jusqu’à 12 semaines de grossesse (14 semaines en absence de règles). Cette loi autorise les mineures à avoir accès à l’IVG sans autorisation parentale. C’est la théorie. En pratique, il manque actuellement des praticiens et des lits. La crise de l’hôpital s’est répercutée sur des centres IVG, qui ont fermé. Et la pandémie du Covid 19 n’a fait qu’exacerber le problème. Il est plus politiquement correct, si l’on augmente le budget de l’hôpital, d’ouvrir des maternités que de tels centres.
L’avortement n’est pas un confort
Contrairement aux idées reçues, « le nombre des IVG, y compris chez les plus jeunes, ne s’explique pas principalement par un défaut de couverture contraceptive. En 2007, d’après l’enquête sur les IVG de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), deux femmes sur trois ayant eu recours à une IVG utilisaient une méthode contraceptive qui n’avait pas fonctionné. » (cf. le site officiel : www. ivg.gouv.fr)
Un vote qui fera date
Le 25 août 2020, une proposition de loi pour renforcer le droit à l’avortement a été déposée. Le 8 octobre 2020, 15 députés, ex-marcheurs, du Groupe Écologie Démocratie Solidarité (EDS) ont insisté pour qu’elle soit votée. Ils ont porté ce projet jusqu’au bout et les conservateurs ont vu rouge. A la tête des progressistes, la rapporteuse du texte, la députée du Val-de-Marne, Albane Gaillot. Celle-ci a relancé la polémique avec l’allongement du délai de 12 à 14 semaines de grossesse pour avorter.
Après avoir été discutée à l’Assemblée, la proposition de loi n°3292 a été votée avec 102 voix « pour » et 65 « contre ». Destinée à éviter des « manœuvres chirurgicales qui peuvent être dangereuses pour les femmes », elle a été adoptée le 9 octobre en première lecture.
Outre l’allongement de ce délai, le texte permet aux sages-femmes de suppléer aux médecins en réalisant des IVG chirurgicales jusqu’à la 10ème semaine de grossesse. Ce texte supprime aussi la clause de conscience spécifique à l’IVG pour les médecins qui l’invoquaient pour refuser d’en pratiquer une. Reste au Sénat à approuver ce texte global à la lettre.
La clause de conscience au cœur des débats
Le 28 septembre 2018, date ô combien symbolique, puisque c’est celle de la journée mondiale du droit à l’avortement, Laurence Rossignol, ex-ministre des Droits des femmes et sénatrice PS, avait déjà déposé une proposition de loi pour modifier un tel délai.
En effet, en 1975, la loi Veil « était le fruit d’un compromis », dont la clause de conscience faisait partie intégrante comme l’emblème « d’un pouvoir médical qui s’arroge le droit de contester la loi et continue de se mobiliser pour contrôler le corps des femmes ».
Or, en 2020, cette fameuse clause de conscience reste toujours l’os à ronger des chiens de garde de l’Académie des Sciences, de l’Ordre des médecins ou du Cercle des Gynécologues.
Que recouvre réellement cette clause de conscience ?
Dans un rapport de 2011, le Conseil national de l’Ordre des médecins en donne cette définition : « La clause de conscience c’est (…) le droit de refuser la réalisation d’un acte médical pourtant autorisé par la loi, mais que le médecin estimerait contraire à ses propres convictions personnelles, professionnelles ou éthiques ».
Cette clause sacralise le droit du fœtus contre le droit des femmes à disposer de leur corps et de leur fertilité. Et elle recouvre déjà trois types d’actes médicaux : la recherche sur l’embryon et les cellules-souches ; la stérilisation à visée contraceptive et l’interruption volontaire de grossesse. Si Albane Gaillot et son Groupe ont demandé à supprimer la clause spécifique sur l’IVG, c’est parce que cette dernière fait doublon avec la clause généraliste.
Paternalisme scientifique et bien-pensance sont les ennemis à combattre. Le rouge a peut-être toujours à voir avec l’hôpital. Mais stop à l’écarlate !
En 2020, les femmes ne sont pas inconscientes. Elles ont le droit de disposer de leurs biens, comme de leur corps.
# Leçon d’autonomie versus # Leçon d’anatomie
Pour en savoir plus :
www.assemblee-nationale.fr -Renforcement du droit à l’avortement.
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