Préface : La CONSPIRATION JEANNE d’ARC de gerald MESSADIE

Préface : La CONSPIRATION JEANNE d’ARC de gerald MESSADIE

Préface

TOME 2

LA CONSPIRATION JEANNE d’ARC

Gerald Messadié écrivait dans son journal intime en 1997 : … « on ne voit en moi que le personnage. Pas la personne ». Cette réflexion nous aide à comprendre la pensée créative de l’écrivain et la cohérence de son œuvre. Dans le tome 2 de La Conspiration de Jeanne d’Arc, il s’agit plus que jamais de soulever le masque de la « personne », brouillé par des milliers d’ouvrages contradictoires.

Plus qu’au personnage, le second volume donne vie à la personne, à la femme de chair et de sang, cherchant son chemin de vie, avec droiture et détermination, envers et contre tous. Si le romancier s’intéresse à son incarnation – la « Pucelle » n’a jamais été ni une simple bergère, ni une sorcière – il lui rend ses attaches, sa famille, son corps et lui redonne la parole.

Il y a beaucoup de dialogues dans cette somme romanesque permettant l’effet de vie. Soucieux d’impulser un rythme narratif digne des meilleurs thrillers, l’écrivain a évité les lourdeurs descriptives et réussi une composition fluide entre actions et discours.

Ainsi, dans un chapitre, Jeanne expliquera pourquoi elle a toujours préféré porter des vêtements d’homme non seulement pour être libre de ses mouvements, mais pour échapper à une maternité non désirée. Par nécessité, elle a toujours refoulé ses sentiments et ses désirs. Un seul homme fait battre son cœur que le hasard ou le destin remettront sur sa route… Enlevée après sa naissance, pour préserver la dynastie des Valois contre les Anglais, élevée comme un garçon, Jeanne échappe donc aux catégories et aux codes. Aujourd’hui, elle pourrait être « gender fluid ». C’est surtout une héroïne chère à l’auteur. En creux, grâce à celle-ci, il évoque des valeurs qui lui sont consubstantielles : la liberté, l’intégrité, le sens de l’honneur jusqu’au sacrifice.

C’est là qu’intervient la force romanesque : donner à son lectorat des realia, ces détails choisis avec minutie qui nous proposent une expérience unique : voyager dans le passé et retourner au XVème siècle pour participer à un immense jeu de rôles. « Conspiration », non, conspirationnisme ! Le dessein du romancier, qui se retrouve dans toute son œuvre, est de nous inciter à revenir sur nos idées reçues sur cette période historique, particulièrement controversée.

Avec subtilité, Gerald Messadié veut nous montrer l’interaction des puissances de l’époque. Il reprend le lieu commun selon lequel la vie est un jeu, en fait ici un postulat du fait artistique et politique. Sur l’échiquier du pouvoir, la duchesse d’Anjou, Yolande d’Aragon, joue avec les blancs, les français, contre les noirs, les anglais. Elle fait tout pour empêcher que Charles VII, son gendre, le futur roi de France soit mis en échec. Jeanne d’Arc est comme le fou blanc, dans ce jeu : une pièce à trajectoire diagonale, de longue portée. C’est Yolande d’Aragon qui entretient l’armée de Jeanne d’Arc à Orléans et permet à la jeune femme de subsister. Derrière cet échiquier visible s’en superpose un autre, dissimulé : celui des puissances incognito. L’écrivain se fait historien pour décrypter le rôle essentiel des Templiers : ils auraient été les véritables financiers d’une opération politico-économique de grande envergure.

Dans le second tome de La Conspiration, l’auteur dévoile donc la manipulation des points de vue, affirmant la prééminence de l’écrivain véritable, c’est-à-dire celui qui n’est pas dupe des ruses de l’Histoire, celui qui ne se laisse pas emprisonner par les dogmes, les modes, les idéologies. Plus profondément, il nous rappelle l’importance de la mémoire et de la réflexion, à notre époque gangrenée par l’immédiateté. A contrario de certains romanciers contemporains, Gerald Messadié croit en la puissance de la narration. Même s’il se méfiait des discours amphibologiques, il a toujours pratiqué une écriture positive, nourrie de références, sensible et sensuelle.

Dans cet ouvrage, l’ultime qu’il ait écrit, l’auteur retrouve ici, avec Jeanne d’Arc, l’affirmation de la désignation, l’affirmation de la structure du langage pour sortir du chaos, l’affirmation du sens et des sens, contre l’oubli, la bêtise et l’ignorance.

Derrière la personne de Jeanne d’Arc se manifeste la tendresse de l’auteur pour cette femme à laquelle il rend hommage, en la rendant profondément humaine, loin de toutes les récupérations dont elle a été l’objet, et même la victime.

A travers l’incontournable figure de Jeanne d’Arc, enfin humanisée et non pas sanctifiée, n’est-ce pas, de la part de Gerald Messadié, le plus beau testament, celui du portrait chevaleresque de l’artiste, sans cesse en quête de vérité ?

Fabienne Leloup

L’art est-il transgressif aujourd’hui ?

L’art est-il transgressif aujourd’hui ?

LE MIROIR

D’OBSIDIENNE de Marc-Louis Questin ( 2019)

 

Préface de Fabienne Leloup

 

Qu’est-ce qui est transgressif aujourd’hui ? La question traverse le nouveau livre de Marc-Louis Questin. Si elle était déjà posée dans ses ouvrages précédents, elle revient ici tel un leitmotiv lancinant. Sous forme de journal intime, de poème en prose et de rituel d’exorcisme, Marc-Louis Questin interroge la finalité de l’art et celle de l’écriture :

« La mort est toujours à l’œuvre entre les lignes des écrivains, des musiciens, des cinéastes et des peintres. Ceux qui refusent la mort sont obsédés par l’idée de la normalité et de ce qui est lisible ».

Ces réflexions font écho à celles du philosophe contemporain Yves Michaud (auteur entre autres de L’Art à l’état gazeux, 2003). Ce dernier affirme qu’entre ce qui a déjà été exprimé au XIXème siècle, photographié, tenté avec le body art au XXème siècle, plus grand-chose ne peut résister à la marchandisation et à la normalisation de l’art. Actuellement Lewis Carroll et Pierre Louÿs seraient accusés de pédophilie et menacés d’emprisonnement.

L’audace est cadrée, encadrée historiquement, socialement, juridiquement.

 

D’où une certaine nostalgie de Marc-Louis pour la liberté des années 70, une période subversive de l’art contemporain : « On peut considérer le body art, les performances de Gina Pane, Olivier de Sagazan ou Michel Journiac comme l’expression hiéroglyphique de la chair… » S’ensuit une méditation sur le verbe, l’incarnation et la transsubstantiation qui détone à l’ère du post-moderne et de l’athéisme.

 

Néanmoins, comme l’écrivain le reconnaît lui-même l’histoire littéraire ou artistique n’est pas linéaire, mais labyrinthique. Pour l’auteur, l’artiste le plus rebelle se rapproche du dandy et du mage, si l’on admet que la « transgression est une méthode qui permet de transformer notre vision de la réalité ». Cette méthode a ses revers : solitude, insomnie, quête des paradis artificiels, ecstasy, visions opiacées aux « mirages infinis ». Elle permet également des rencontres improbables avec les créatures de la nuit qui se transforment en rêves, parfois en sursauts de révolte contre les listes « d’épicerie » ou contre certains individus préoccupés par leur statut social. L’écrivain a besoin de se concentrer car il écrit pour être. Pour déstabiliser l’autre, celui qui croit être le centre de tout, le nombriliste.

 

Malgré les errances entre Paris, Lisbonne, l’Inde, le poète affirme qu’il « faut traverser le mirage  des regrets » pour échapper au carcan du politiquement correct, s’interroger sans cesse sur la présence du Mal, relire Dostoïevski et les inventeurs de langages. La mémoire sert de fil rouge dans le labyrinthe de l’existence. La lecture est un philtre. Retours en arrière sur l’adolescence, les filles, les muses et le « film sulfureux de Stanley Kubrick consacré à Lolita ». Fondu-enchaîné sur Eglantine, la drogue douce, Dame d’un amour courtois, symbole de poésie et de régénération. Travelling sur les amis et les figures marquantes de sages. Les soirées passées à refaire le monde. La méditation. Le temps qui passe et les faux découpages. Gros plan sur l’écrivain révolté contre le cliché de « doux rêveur ».

 

Des anecdotes permettent de solidifier la pensée du poète qui rêve d’ailleurs. L’une d’elles m’a marquée, celle qui met en scène l’agitateur allemand Joseph Beuys, décédé en 1986, s’enfermant durant une semaine avec un coyote dans une cage en verre. Est transgressif l’artiste qui essaie de communiquer avec son animalité à l’intérieur et à l’extérieur de lui. N’y aurait- t-il pas une communication non verbale entre les êtres, entre les règnes ? Gros plan sur Marc-Louis marchant dans la forêt de Brunoy. Sans pathos, celui-ci souhaite nous faire prendre conscience de notre finitude car personne ne peut accéder « à la véritable réalité », juste l’approcher. Cela signifie-t-il auto- censure, désespoir, voie sans issue ?

 

Non. Juste un peu de bon sens paysan revendiqué par l’auteur et des arabesques magiques à défaut de manifeste stylistique. Comme le philosophe Yves Michaud, Marc-Louis Questin constate qu’un artiste subversif aujourd’hui ne peut se laisser enfermer dans un genre ou une discipline. Si la France demeure cartésienne et bureaucratique, l’artiste se doit d’échapper aux étiquettes pour capter l’âme de son époque, apposer le sceau de sa personnalité et peut-être davantage encore : saisir un rayon de l’Anima Mundi. Principe du caméléon, bien au-delà du trash, du gore ou du gothique. Les étiquettes se salissent et se décomposent. Les arts de l’extrême finissent par lasser lorsqu’ils se figent. Tentation du nihilisme repoussée par un mouvement chorégraphique. Est transgressif, celui qui traverse le bûcher des apparences afin de créer une réalité alternative, une profondeur sensorielle. Ainsi Marc-Louis taquine-t-il la salamandre, sans oublier d’être tarologue, poète, acteur… Et il avoue sa passion du cinéma : « Je n’ai pas les moyens financiers de réaliser un film baroque, psychédélique et onirique ». La spiritualité dans l’art ne se laisse pas enfermer. Il est donc important de changer de cadre(s), de plan et de techniques. Alchimie de la frustration. Sublimation des pulsions en désir de vie.

Marc-Louis Questin continue son éloge de l’énergie vitale de page en page, quoi qu’il lui en coûte. Il nous fait ressentir que les faits les plus touchants, les plus intéressants de notre vie ne sont pas là où on les attend.  Qu’on ne se fie pas à ses références à Schopenhauer, l’homme est davantage lycanthrope que misanthrope !  Marc-Louis ne se contente pas de jeter la clef du monastère dans la rue. C’est un découvreur, à une époque où l’art est partout et nulle part. Il aime ce qui est charnel et sensible, répugnant au monochrome, à l’abstrait déconnecté du trop-plein si humain.

Depuis des décennies, il décloisonne, réunit des artistes non conventionnels autour de lui, éveille des talents et des vocations. Des regards neufs se posent sur des projections de courts- métrages, des danseuses, des humoristes, des musiciens… Performances et perturbations maîtrisées sans pression de groupe. Marc-Louis transmet la fonction prophétique de l’art dans l’esprit de la Tradition et des arts martiaux. Il ne valide aucun produit. Il accorde son attention aux happy few. Dans les replis de la contre-culture, lors des soirées dédiées au romantisme noir à la Cantada – un bar rock de l’Est parisien- sur des airs hypnotiques, les individus réunis du Cénacle du Cygne forment un égrégore blanc, « un feu qui scintille dans la nuit ». Comprenne qui pourra.

 

La marche est un déséquilibre en avant. Giacometti n’est pas loin quand Marc-Louis fait un pas de plus, afin « de provoquer le déclic nécessaire pour que les individus sortent d’un état de léthargie et de servitude volontaire ».

 

 

 

Sculpture de Louise Bourgeois