Léo Kennel alias Odile Kennel reprend le motif du labyrinthe dans ces deux récits proches du poème en prose. Les frontières entre romanesque et poétique s’abolissent pour dérouter le lecteur invité à s’identifier à la narratrice de la première novella intitulée Osgharibyan.
Le titre et les passages concernant une manifestation réprimée, semblent faire allusion à l’actualité et à une guerre aux portes de l’Europe. L’écriture visionnaire de l’écrivain trace des volutes hypnotiques autour de celui ou celle qui tente d’élucider son message.
S’agirait-il de renouveler la forme des Oracles, dans la lignée de Plutarque ?
Bien au-delà de l’onirique, perce l’inquiétude de perdre les livres et l’écriture, comme s’ils risquaient un jour de disparaître, dans les méandres de cette Ville (qui) « attend son heure ».
La seconde novella, Un oiseau de secours, nous confirmerait cette hypothèse de lecture : en grec ancien, oiseau et présage se disent de la même façon. Dans ce texte qui joue sur les pronoms, l’autrice revient sur la technique de cut-up, de collage qui lui permet de prendre au filet les mots pour délivrer ses présages et conjurer le mauvais sort:
« Et encore on a découpé, on a décomposé, on a déligné, c’est seulement après que l’écriture a pu débuter… »
Ces deux textes exaltent donc l’ambiguïté du langage humain, revendiquant les droits de la sensibilité sur la logique, rappelant la parole sibylline nécessitant une dynamique spéculative.
Première édition Roman, 150 pages, catégorie / prix : 9 € ISBN : 979-10-90662-63-6 Format : 11,0 x 17,5 cm Genre : Fantastique
La rumeur existe dans tous les domaines, omniprésente dans notre quotidien.
Céline Maltère nous montre dans son dernier récit ancré à Vichy comment la rumeur peut contribuer à la création de mythes et entretenir de fausses histoires dans l’Histoire des années 30.
Tout commence comme dans un conte par une rivalité entre pêcheurs obsédés par un monstre aquatique.
Le registre fantastique permet de dessiner un espace de symbolisation spécifique faisant surgir l’égrégore noir de l’inconscient collectif gangrené par l’antisémitisme et la bêtise humaine.
A travers l’histoire de la petite fille juive Marie-Évy Lieberman qui rappelle les héroïnes hugoliennes, c’est l’enfance qui est magnifiée dans sa capacité à communiquer avec la nature, le monde visible et invisible :
« Oui, elle avait surgi, elle avait les yeux clairs d’une nuit de comètes. ”
Créature de l’Apocalypse, la Bête révèle la boue dans le cœur des hommes et leur méchanceté. En fait, il faut des agents à la rumeur. Ce seront dans le roman, des journalistes et un nobliau avide de gloriole.
Rumeur, chasse du monstre et chasse aux sorcières se rejoignent dans un même élan à rejeter sur l’autre la part d’ombre que l’on évite de voir. Critique de l’ignorance , de la veulerie et de l’aptitude à trouver des boucs-émissaires ( ici une agnelle-émissaire), LIVIYATAN est un récit contestataire. Contre les vrais Léviathan de l’extrême-droite, de l’obscurantisme, de la calomnie.
Bien au-delà du fait divers relaté, de l’hiver 1933, du « monstre de l’Allier » local, le roman défend la quête de la vérité et l’absence de préjugés. Lutter contre la rumeur n’invite pas à léviter.
Vertiges, nouvelles, Paris, L’Harmattan, 2020, 171p., 17,50 E.
Cinq nouvelles… Cinq plongées dans un univers faussement familier où les catégories spatio-temporelles vont vite se dérégler. Ainsi un « frigo » devient un alien dans un somptueux appartement qui évoque les films de Mario Bava. Une autoroute digne de « Lost Highway » de David Lynch devient une piste infernale où les panneaux de signalisation se démultiplient, émissaires d’un au-delà inquiétants, parce que trop banals. Même le divan du psychanalyste n’offre pas de véritable refuge, préfigurant un autre espace avec ses territoires mythiques et angoissants. On retrouve la culture cinématographique de l’autrice qui nous livre à la fascination des images. Vertiges/ Vertigo ?
Les espaces intimes d’Aniouta, comédienne, musicienne et auteure sont hantés par l’image d’un père absent et d’une mère omniprésente, beauté glacée, à l’image de cette « photo polaroïd trop vite exposée à la lumière ». (p.96)Il subsiste une part d’espoir matérialisée par la figure masculine de l’amant. Une figure souvent salvatrice qui surgit au bout du dédale, sans illusion d’optique cette fois.
Quinze nouvelles ; quinze pépites d’auteurs confirmés comme Jean-Marc Ligny ou Laurent Whale.
Quinze objets de controverses autour de la sécurité et de la liberté, de la culture et de son absence, de l’euthanasie ou de la quasi immortalité…
Le thème « Insurrections » fait écho à une actualité récente, celle des gilets jaunes, mais aussi d’un « sentiment de ras-le-bol », explique Pierre-Marie Soncarrieu, dans sa Préface.
Chaque auteur nous invite à une relecture de sa réalité : l’immigration et le survivalisme avec une valeur sûre, Jean-marc Ligny ; la fracture entre l’édition parisienne et l’univers provincial d’une polygraphe pour Alexandre Granger ; le recours à l’alchimie pour lutter contre la tyrannie par Karim Berrouka ; le modèle des comics pour remodéliser les « circuits psychiques de l’Humanité » revu par Cassandre de Delphes ; la prison numérique mise en scène par Laura Conche ; le roman d’aventures démystifié par Laurent Whale ; le recours au western pour faire sauter les cadenas pour Jean-Robert de Villadarvel ou à la sombre dystopie pour Tony Emerian.
Sans oublier la pataphysique avec le texte de Philippe Caza, la sorcellerie à l’ère du #metoo par Beth Greene, l’intelligence artificielle éthique au service d’une nouvelle humanité par Audrey Pleynet, le grand soir féministe de Julie Kemtchuaing et les délires galactiques de Vincent Dionisio. Une lecture vivifiante. Tant qu’il y aura des cerveaux et des imaginaires à co-construire, la force vitale circule.
Insurrections est un recueil nourri de toute la sève de la jeunesse, une jeunesse qui s’amuse avec les codes narratifs pour fuir l’ennui du « dimanche en Camembrie », proclamer l’importance du lien social et repousser les goules d’une « Sénéthèque ».
Auteure de nombreux romans et de nouvelles, souvent destinés à la jeunesse, Sylvie Huguet s’attaque à un sujet d’actualité et particulièrement délicat : l’agression sexuelle d’un beau-père sur une mineure, Louise.
Dans Rêve de licorne, publié ce mois-ci aux éditions Assyelle, l’écrivaine a choisi le registre poético-fantastique pour aborder le thème du non consentement, dans des productions plus médiatisées. L’héroïne a 12 ans quand son père décède et que sa mère le remplace rapidement par Axel, un archange noir qui va vite dévier de son axe. L’onomastique est importante dans ce récit qui épouse les genres de la fantasy, de la fable et de l’apologue avec délicatesse, sans mièvrerie. Ainsi Louise est une reine déchue quand elle comprend que l’élevage familial de chevaux est de plus en plus mal géré par sa mère, amoureuse éperdue d’Alex, au point d’être dans le déni. Pour oublier son traumatisme, elle a reporté toute son affection sur sa jument Brume de neige qui a son double féérique dans l’univers onirique, la fameuse licorne éponyme.
A la question de la résilience, Sylvie Huguet montre la voie symbolique : la licorne pointe l’existence du divin ou du moins celle d’une dimension supérieure dans l’être humain avec cette corne unique. Cette arme physique et psychique ( on pense à la double hache du culte minoéen) détruit les maléfices et transcende la sexualité. On comprend qu’elle ait fasciné alchimistes, médiévistes et poètes car elle témoigne de la puissance de régénération, forme-sens pleine de la pureté agissante, triomphante des obstacles et des pires épreuves pouvant menacer l’innocent-e.
Sans doute, le texte destiné à un jeune public sera propice à mettre en garde et à ne pas perdre espoir.
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