Coup de cœur : LE PEU QU’IL NOUS RESTE (recueil poétique)

Coup de cœur : LE PEU QU’IL NOUS RESTE (recueil poétique)

Le dernier recueil de Laurent Mantese est paru aux éditions La Clef d’Argent.

 

Il capte l’air enfiévré du temps.

Depuis l’Antiquité, les fragments ont une tonalité critique. Ce choix esthétique manifeste une volonté de briser la linéarité d’une rhétorique dépassée.

Ils excellent aussi à dévoiler la violence institutionnalisée d’un monde digitalisé:

« Nous sommes les bâtards d’un siècle apprivoisé

L’inutile relève

Agitée par des sots ».

 

Ces textes font écho selon moi à la série culte, MR ROBOT, qui déboule sur nos écrans…le portrait d’un hacker génial face au système ultra libéral. Avec mélancolie, le poète laurent Mantese refuse d’adhérer lui aussi à l’obession sécuritaire tant qu’à la « contemplation des Simulacres ».

Alliant esthétique et éthique, ces fusées contemporaines font exploser la souffrance mentale. Dédicace à Mandiargues ( Le point où j’en suis), Le Peu Qu’il Nous Reste fait l’exploration d’un inconscient collectif:

« Le problème n’a jamais été dans l’inégalité des jouissances, mais dans la séparation d’avec la Vie ».

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Toast funèbre à Benoîte Groult

Toast funèbre à Benoîte Groult

Dans son essai déjà paléolithique aujourd’hui, Benoîte Groult écrivait : « Jean-Jacques Rousseau, au siècle des Lumières, vint donner sa caution aux éducateurs : « La femme est faite pour céder à l’homme et supporter ses injustices. Toute son éducation doit être relative aux hommes : leur plaire, leur être utile, les élever, jeunes, les soigner, grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce. » Et Napoléon vint couronner le tout en définissant, sans ambiguïté la place de la citoyenne dans la société par l’article 1124 de ce monument de misogynie qu’est le Code Civil : « Les personnes privées de droits juridiques sont les mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux. »

 

Aujourd’hui, sa culture, sa finesse d’esprit et son humour vont me manquer.

C’était grâce à elle que j’avais découvert le nom, puis l’existence de Maria Deraismes, une autre grande dame, éprise de justice.

Maria Deraismes, l’une des héroïnes dont l’histoire a été publiée grâce aux éditions Michel de Maule. Un livre en appelle un autre et confirme la puissance de la trace écrite.

Source: Flickr

Source: Flickr

Un nanar gore : THE NEON DEMON

Un nanar gore : THE NEON DEMON

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The Neon Demon 
Sorti le 8 juin, et réalisé par Nicolas Winding Refn, ce pseudo thriller est ennuyeux, faute d’un bon script.

Sans ligne définie, ni véritable conte gothique à la Tim Burton ni véritable film d’horreur à la Dario Argento, ce film manque de souffle, d’onirisme et de scénario à la hauteur. 

Pourtant l’ingénue, « biche effarouchée », lancée dans l’arène de L. A, cité des démons, aurait pu être convaincante, si ce film n’était pas pas un cut-up de références, sans dimension.

Le romantisme noir sur fond de vampirisme ne souffre pas la médiocrité.

 

Les Racines du Sang : un polar humaniste de Natacha Calestreme.

Les Racines du Sang : un polar humaniste de Natacha Calestreme.

Polar bien ficelé, Les Racines du Sang , le dernier cru de Natacha Calestreme, aux éditions Albin Michel, est une dénonciation des trafics pharmaceutiques et du lobbying sanitaire, visant l’industrie du sucre et de l’aspartame. Mais pas seulement. Au-delà de l’aventure du héros policier, Yoann Clivel, qui enquête sur une série de meurtres insolites – un serial killer qui signe ses crimes avec des roses – le lecteur est invité à ouvrir les portes de son inconscient.

 Hanté par son passé, Yoann Clivel, incarne trois postures par rapport au désespoir et la mort: celui de ne pas être ce qu’il voudrait être; celui d’être captif des projections des autres; celui de ne pas arriver à atteindre le Soi. Au fil de l’enquête, il fait un retour sur lui-même, sur les « racines du sang », qui donne lieu à une méditation sur le rôle des ancêtres, de la transmission, et la nécessité du pardon:

« Revisiter le passé, regarder ses blessures, nettoyer les zones d’ombre, et rompre le lien avec les erreurs des anciens permettait d’éviter la maladie et la mort ».

C’est à une activation symbolique de l’Etre que nous enjoint l’auteur, remède à une mélancolie mortifère, à un désespoir multi-pétales. Car seul l’écrivain, tel un grand parfumeur, peut sublimer le bouton des roses « sweet sugar » en parfum enivrant.  

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Le monde à l’envers de Céline Maltère : Les Corps glorieux de Céline Maltère.

Le monde à l’envers de Céline Maltère : Les Corps glorieux de Céline Maltère.

Philippe Gindre vient d’éditer un nouveau roman aux éditions La clef d’Argent: Les Corps glorieux  de Céline Maltère, un autre talent de la littérature de l’imaginaire. Nourris par l’intertextualité ( le mythe des Amazones; l’Énéide ; la Dame sans merci ; le cycle du Graal; le lai de Lanval ; la somme romanesque de Tolkien…), Les Corps glorieux  rendent  hommage à la littérature, au pouvoir des mots, matérialisé par le « grimoire de Goth » où l’héroïne, la reine Kationa puise une partie de son aura.

Mais ce roman richement connoté culturellement est une splendide variation sur le thème du monde à l’envers: l’épopée se lit au féminin, mêlant épisodes narratifs et motifs descriptifs avec brio. Inversant les codes de la chevalerie, Kationa et ses sœurs règnent sans partage sur leurs terres léguées par leur père, et n’ont pas besoin des hommes pour se défendre. Céline Maltère a sûrement puisé dans l’Histoire pour composer ce personnage de Kationa, reine implacable -sauf lorsqu’il s’agit de son Désir.

Bien au-delà de la transposition des codes du genre épique, ce récit appelle une lecture psychanalytique sur le Désir, ses conséquences, le manque, car Kationa aime les femmes, ces « corps glorieux » de beauté pour elle, au point d’avoir constitué son propre harem, et a aimé passionnément une Dame, prénommée Balzane, morte prématurément:  » Je ne me résolvais pas à devenir spectatrice de cette décadence ».

L’impossibilité de faire le deuil de Balzane l’entraîne dans des aventures multiples, « avatars du désir » qui ne la laisseront pas indemne, ni elle, ni son royaume.

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LE POIDS DU COEUR de ROSA MONTERO : UN POLAR POETICO- SF

LE POIDS DU COEUR de ROSA MONTERO : UN POLAR POETICO- SF

Malgré le contexte difficile actuellement, national et international, je tiens à recommander la lecture du roman de Rosa Montero, intitulé « Le Poids du cœur ». Il est paru à la mi-janvier, aux éditions Métailié, et le titre que l’on comprend, à la dernière ligne peut sembler édulcorer le contenu. L’écrivain madrilène nous fait voyager dans un univers proche de « Blade Runner », le film culte de Ridley Scott, puisque l’héroïne, Clara Husky, est une « rep »(réplicante) de combat qui survit dans un climat post-nucléaire. A travers les yeux de Bruna, qui est tout sauf Candide, l’écrivain nous fait surtout réfléchir à des problèmes d’actualité notamment celui de l’écologie, et celui d’une religion patriarcale, au point d’asservir les femmes.

 

Toutefois, il ne s’agit pas d’un roman à thèse. Ecrit comme un polar, l’enquête de Clara commence par le vol d’un mystérieux diamant, l’amenant sur diverses planètes, puis, devant l’entrée d’un gigantesque cimetière de déchets atomiques, enfouis dans une caverne anti-platonicienne. Au-delà des péripéties, ce thriller futuriste n’a pas le vernis parfois glacé de certains auteurs de science-fiction. L’émotion nourrit l’action. Tout au long de ses aventures, Bruna compte le temps qu’il lui reste à vivre:

« Comme tout androïde, elle ne vivrait qu’une décennie, dont il lui restait trois ans, dix mois et vingt et un jours, et elle avait la certitude qu’il y avait des savoirs qui ne valaient pas la peine d’être sus ».

Ecartelée entre son désir d’autonomie et son besoin d’affection, Bruna s’avère plus qu’humaine. Ses compétences analytiques et métaphoriques en font un personnage singulier et attachant, un « monstre né de la manipulation génétique », capable de dépassement et de sacrifice. Non seulement, elle sauve Gabi, une jeune Russe irradiée, du District Zéro, mais elle lègue, dès son retour de mission, son bras orthopédique à son amie Mirari, une violoniste qui ne peut pas se payer une prothèse aussi sophistiquée, parce qu’elle ne bénéficie pas de l’assurance médicale des réplicants. Avec son humour qui l’humanise encore davantage, Bruna lui annonce la bonne nouvelle :

 » (…) au plus tard tu auras ta prothèse toute neuve dans trois ans, huit mois et trente jours ».

Bruna transcende donc les figures d’Eve ou de Lilith pour incarner la Femme salvatrice, à la fois belle, forte et généreuse. Et la fureur de vivre dans un univers technicien en décomposition, en raison de son obsolescence programmée.

 

 

Source: Flickr

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