Avec une plume toujours délicate, Céline Maltère nous entraîne dans un nouveau voyage intérieur, au cœur d’une forêt..
Mêlant l’Histoire, des faits du XIXème siècle et l’actualité – la controverse sur la chasse- elle sait brouiller les pistes et jouer à merveille les Diane écrivaines. Difficile de résumer un tel écrit qui interroge les catégories d’autofiction, de roman poétique et de chronique historique. Qui a incendié en 1925 le château de Randan en Auvergne ?
Comme à son accoutumée, l’écriture est ciselée. C’est un ravissement d’essayer de suivre Abèle, la jeune enquêtrice qui porte bien son prénom…
Qu’ont-elles encore à nous dire, ces créatures à capes et à crocs qui hantent nos nuits et notre imaginaire ? Seize auteurs et autrices d’aujourd’hui ont accepté de se poser la question et de tenter d’y répondre, imposant ce faisant à la figure surannée du vampire une cure de jouvence, quitte à le confronter à des problématiques plus urgentes et contemporaines que celles du folklore transylvanien, voire à le bousculer et à lui faire subir les derniers outrages. « À mesure que le sommaire se dévoilait, précise Yves Letort, la personnalité de chaque intervenant affirmait une volonté de rupture, même si elle apparaissait parfois sous les oripeaux du fantastique victorien ou bien par le jeu de la correspondance, forme d’élection du roman stokerien. Si ce projet ne prend nullement l’allure d’un manifeste, il rend compte de la sensibilité de quelques auteurs contemporains en confrontant leurs propres obsessions à la fable. En définitive, cette anthologie, on l’espère, permettra de prendre le pouls de la créature, qu’aucun paradoxe ne semble épuiser… »
Benjamin Desmares Florent Liau Jean-Hugues Oppel Céline Maltère Patrick Denieul Sandrine Scardigli Didier Pemerle Tadeusz Hiddinko Chantal Rabutin Sylvain-René de la Verdière Dolmancé Léo Kennel Pierre Laurendeau Nicolas Liau Fabienne Leloup Patrick Boman
Editions Les Arènes, Paris, 272 pages, 25 août 2022.
Prophétie, cauchemar ou crise salvatrice ?
Les algorithmes sont-ils en train d’empoisonner l’humanité ? Et si la Silicon Valley ne représentait plus le rêve américain, mais l’antichambre d’une machine policière infernale ?
À Los Angeles, Achille, un professeur d’éthique numérique ne donne plus signe de vie à personne. (La description du personnage m’a fait penser au philosophe français Olivier Abel, professeur de philosophie et d’éthique à Montpellier, auteur de L’Ethique interrogative : Herméneutique et problématologie de notre condition langagière en 2000.)
L’un et l’autre possèdent un point commun : ils posent trop de questions.
Avec une pointe de mélancolie, Achille se rend compte qu’il a connu un autre temps : « Ce temps où l’on allait se noyer dans une bibliothèque pour affûter ses connaissances afin de déchiffrer les mystères du vivant est loin derrière nous. L’effort intellectuel a été enterré et, avec lui, l’imagination.» (p.85)
Se sentant en danger, il cherche à protéger la jeune femme qui évolue dans la sphère de l’art contemporain. Circulant entre Los Angeles et Paris, celle-ci va se retrouver au cœur du cyclone, celui de la crise sanitaire et d’une situation apocalyptique.
En acceptant de faire le portrait de Palantir, le magnat du numérique, elle « expérimente la haine » parce qu’elle expérimente en même temps le cynisme de son modèle, emblème du moi-je et du je-fais-ce-que-je-veux. Pour le lecteur, Palantir évoque la folie d’un Big Brother, la démesure d’un hyper riche et le sadisme d’un tueur en série. L’incarnation d’un égocentrisme exacerbé niant l’altérité et les aspirations des autres. Une seule valeur subsiste : l’argent.
Palantir n’arrive pas à museler celle qui cherche à lui dérober ses secrets en fixant ses traits sur une toile. S’ensuit un combat psychique entre deux volontés …
La vitesse narrative et le talent visionnaire de Pia Petersen me font du bien, sans doute parce qu’il ne s’agit pas de la nième prose post- dix-neuvièmiste sur la famille ou la nième marmelade feel-good en tête de gondole, mais d’un roman philosophique. Une série d’interrogations. Cela ne pourrait être qu’une fiction sur la consommation et les boîtes noires ; c’est le miroir de notre époque, la séduction que peut exercer le pouvoir absolu sur les individus, l’amoralité de l’économie, cette science qui nous gouverne tous.
J’aime le style incisif de la romancière, l’humour décalé des titres de chapitres. Ce livre se lit facilement, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il est facile à appréhender.
Grâce à Pia, nous découvrons que l’idée de liberté est la plus dérangeante de toutes, en particulier dans un monde où l’on peut effacer toutes vos données. Heureusement cette littérature redonne du souffle à nos accès au réel et nous encourage à aller de l’avant.
Sans pal, sans tir, avec la salve des mots. La vengeance des perroquets, prodrome d’une nouvelle page de l’Histoire ? D’une nouvelle façon d’aborder le langage ? La question ne tue pas l’acte ; elle l’innerve.
D’emblée, nous constatons que la définition de l’Intelligence Artificielle est imprécise, variant au gré des avancées techniques, à chaque année qui passe. Tentons de cerner cette notion contemporaine, employée sans distinction fine par les médias. A l’origine, une I.A est un algorithme dont le but est de pouvoir prendre des décisions relevant d’une certaine forme de compréhension du monde grâce à un traitement de données. En pratique, le terme « intelligence » est impropre car il s’agit d’un terme générique qui englobe en réalité deux formes principales d’I.A. On distingue en effet : a) l’I.A symbolique : l’algorithme dans cette version est à base de règles. L’ordinateur exécute des ordres qu’on lui donne ; b) l’I.A connexionniste : dans cette version plus poussée de machine pensante, les algorithmes apprennent, à partir d’exemples, à exécuter des tâches pour lesquelles ils n’ont pas été spécifiquement été programmés. Cet apprentissage virtuel, aux conséquences réelles, a pris pour modèles les neurones de notre cerveau d’humain. Les algorithmes d’apprentissage profond, ou « deep learning », sont fondés sur des réseaux de neurones artificiels, par analogie avec les nôtres. Le terme d’analogie ne peut qu’éveiller le doute chez tout être humain rationnel, chez tout scientifique digne de ce nom. D’où la question soulevée par l’actualité et ma réflexion, mon questionnement personnel : peut-on se fier à l’I.A connexionniste ? N’est-ce pas jouer à l’apprenti sorcier que de continuer à la développer ? 1/ Le chercheur Idrisse Aberkane, expert en neurosciences notamment, dans son dernier essai sur l’I.A, Le Triomphe de votre intelligence – Pourquoi vous ne serez jamais remplacé par des machines ?, nous livre un discours optimiste. Pour lui, l’I.A , c’est un peu comme l’histoire des métaux. C’est l’homo sapiens qui a façonné le cuivre, puis est passé à l’âge du bronze, avant de créer l’acier. Notre époque, dans la pratique de l’I.A, est celle de l’âge du cuivre. Celui du bronze, qui verra poindre l’âge de la conscience, surviendra quand sera trouvé l’algorithme de la conscience artificielle. Pour ce chercheur, l’I.A. est une opportunité majeure pour se libérer des tâches répétitives et du travail humain fastidieux.
L’étymologie de travail ne vient-elle pas de « tripalium », supplice ? Toutefois il ne cache pas que l’I.A va s’amplifier crescendo et va nous contraindre à faire des choix. En ce premier quart du XXIème siècle, l’humain et la machine cohabitent de façon relativement équilibrée, l’homme tolérant que des ordinateurs hyperpuissants parviennent à battre les champions du monde d’échecs. N’est-il pas symbolique – et lacanien ? – que le premier échec majeur de l’homme face à la machine vienne des échecs, roi des jeux et jeu des rois ? 2/ Or, cette cohabitation pose scientifiquement problème. Si l’on veut donner des responsabilités à un algorithme, il faut pouvoir déterminer ce qui l’a mené à prendre telle ou telle décision. C’est ce qui s’appelle faire preuve d’explicabilité. Actuellement, l’explicabilité est le talon d’Achille des réseaux de neurones artificiels. La communauté scientifique s’est rendue compte que l’on pouvait leurrer un réseau de neurones capable de reconnaître des animaux en modifiant un seul pixel de l’image, de manière à induire en erreur l‘algorithme. Cela pose un dilemme : les algorithmes complexes ont tendance à être plus puissants, mais moins explicables. Feriez-vous confiance à un médecin qui semble ne pas se tromper dans ses diagnostics, mais qui ne sait pas les justifier ? Les programmes ont beau être mus par une logique froide, ils ne sont pas neutres car ils peuvent véhiculer les préjugés de leurs créateurs. Leur objectivité est une idée fausse. (…)