Failles fictionnelles derrière la banquise DON DElillo

Failles fictionnelles derrière la banquise DON DElillo

L’argument de la 4 ème de couverture est alléchant:

 » choisir de mourir pour prendre la mort de vitesse, décider de se transformer en créature-éprouvette dans l’attente de jours meilleurs afin de revenir au monde en être humain augmenté et radicalement inédit, telle est l’offre de “Zero K”, un centre de recherches secret. »

 

Malheureusement, les personnages recréant une trinité postmoderne m’ont laissée froide, sans mauvais jeu de mots Difficile de s’identifier au personnage commanditaire,  Ross Lockhart ( cœur fermé), à son fils, pâle copie du Père, et à Artis, ersatz d’amante et pauvre Iphigénie sacrifiée sur l’autel de la Science.

L’intrigue s’enlise dans un propos pseudo philosophique. Une dystopie ou un vrai roman de science-fiction aurait cassé la glace entre le réel et le virtuel. L’écrivain américain semble écrire pour un Lecteur Modèle, pour reprendre la terminologie du regretté Umberto-Eco. Et abstrait. Trop abstrait.

En conséquence, pas de concrétion imageante et auditive. Pas de cohérence mimétique non plus. Et encore moins d’activité fantasmatique !

 

9782330081560

LES VESTIGES d’ALICE par Marc Kiska : la « force imaginante » de l’adolescence

LES VESTIGES d’ALICE par Marc Kiska : la « force imaginante » de l’adolescence

Marc Kiska, Les Vestiges d’Alice, Milly-la-forêt, éditions Tabou, 224 pages, 15 euros.

( livre en librairie depuis le 20 octobre)

 

J’ai rencontré Marc, grâce à la littérature, puisque ce dernier avait dirigé en 2004, une organisation avec Ariane Gelinas, une auteur canadienne, intitulée L’Orchestre Fantômatique. Cette  maison d’édition avait publié deux anthologies dont une consacrée aux anges, intitulée « Un ange passe ». J’y avais publié une nouvelle, « L’ange dernier cri », clin d’œil à la culture underground et au mythe de l’androgyne. A cette époque, Marc vivait déjà en Norvège.

Une dizaine d’années plus tard, ce dernier m’envoie son roman écrit au couteau, plutôt qu’à la plume. Il s’agit d’un roman sur l’adolescence et les amours entre garçons. Certes, le style est cru, à la limite du pornographique pour certains lecteurs, mais vrai. Il épouse la violence contemporaine et matérialise l’angoisse que ressent Henri, le héros de ce pays des merveilles d’une jeunesse sans pères et presque sans personne à qui parler.(excepté une grand-mère indigne et fabuleuse, prénommée Germaine).

Sa mère « lui en veut d’avoir grandi trop vite, d’être devenu en si peu de temps un de ces adolescents à la traîne, et elle s’en veut de n’avoir rien fait pour l’empêcher(…) Qu’a-t-il fait, si ce n’est aimer la mauvaise personne ? Son corps plein d’hormones et sa tête pleine d’aventures, comment aurait-il pu gérer tout ça d’une autre façon ? »

Toutefois, après avoir rencontré son mauvais ange, Max, Henri retrouve une forme d’innocence en croisant Gaël, un garçon roux, qui lui permet d’oublier la ville en courant dans la forêt, et de retrouver une animalité dépourvue de perversité. D’objet sexuel, Henri devient un sujet désirant recueillir les « vestiges d’Alice ».

Marc Kiska a écrit une histoire d’anges rebelles qui sent la sueur, le sperme, l’urine et le cacao. Son originalité est d’être un roman olfactif.  J’ai été aussi  sensible au manifeste contre le « gratin bien-pensant avachi devant des écrans plats », les « bourreau(x) de l’enfance » qui ont « no(yé) leurs aspirations et leur imagination dans un océan de caféine.

L’opposition entre chocolat et café sert de ligne de démarcation entre adolescents et adultes. Ceux qui ne boivent plus de cacao ne pourront plus sauter dans le « terrier » d’Alice.

Dommage pour ceux qui ont perdu leur « force imaginante », selon la belle formule de Gaston Bachelard. ( Introduction à L’Eau et les Rêves)

Charles Nodier vu par Jérôme Sorre : enfant prodige et « magicien » du romantisme

Charles Nodier vu par Jérôme Sorre : enfant prodige et « magicien » du romantisme

Né avant la Révolution française, convaincu qu’une nouvelle littérature était en train d’éclore, Nodier fut un des maîtres et des précurseurs du romantisme.  Aux éditions La Clef d’Argent, Jérrôme Sorre revient sur les pas de cet écrivain méconnu, voire oublié aujourd’hui, en situant son récit à Besançon.

Initiateur d’une ouverture vers la littérature étrangère, mais royaliste et conservateur, Nodier ne fut jamais en accord sur les idées progressistes du XIXème siècle. De cet exil intérieur il réussit à produire des contes et des poèmes, témoignant d’une vive imagination.

Jérôme Sorre réussit le pari de nous introduire dans le cerveau rêveur de Nodier, à la manière d’un cinéaste:

« Il n’était pas seul, il le sentait. » 

Mais surtout le romancier d’aujourd’hui – Jérôme Sorre – tisse des liens avec un frère, peut-être un double, surgi du passé. Tous deux se nourrissent de légendes pour construire une œuvre, au-delà des contingences. Simplement Jérôme Sorre nous montre que l’imaginaire de ce frère en littérature ne cesse de tourner parfois dangereusement autour de l’inaccessible, de l’impossible.

L’écriture peut-elle à elle seule compenser la réalité ? Vaste réflexion…

En tout cas, ce récit court est fort réussi.

L’Hiver du Magicien, Jérôme Sorre, éditions La Clef d’Argent, 6 euros.

 

Edouard Ganche ou le sens du tragique au début de l’atroce XXème siècle

Edouard Ganche ou le sens du tragique au début de l’atroce XXème siècle

Musicologue et étudiant en médecine, Edouard Ganche a été connu par les bibliophiles grâce à un ouvrage  intitulé Le Livre de la Mort en 1909.

Grâce à Philippe Gindre, l’éditeur des éditions La Clef d’argent, ses contes macabres ont été redécouverts et publiés récemment, sous le titre L’Ordre de la Mort.

 

De quel ordre s’agit-il ? Toute-puissante confrérie des médecins ? Ou axis mundi ? Le titre du recueil est programmatique et nous invite à apprécier le sens du tragique qui ressort de ces nouvelles, « l’âcre émanation de la terre mouillée ». Dans cet univers marqué par l’expérience de la morgue et de la dissection, flotte aussi le fantôme de Baudelaire. Mais ici, le « génie du mal » est chirurgien:

« Le plaisir n’a qu’un temps et le jour vient où, vaincu par la maladie impitoyable, on confie son pauvre corps à un prince de la science ». Même si Edouard Ganche subit les influences du romantisme et d’une certaine littérature décadente, la puissance d’évocation de ses nouvelles nous prend aux tripes. Témoin, « L’opérée ». Une saisissante hypotypose en pleine salle d’opération. On ne s’étonne pas si la nouvelle a été édulcorée et ensuite republiée telle quelle. Médecins et étudiants n’y sont pas montrés sous leur meilleur jour. Règne de la cruauté et du cynisme. Le défaut de compassion alerte sur le sens à donner à la mort. 

Edouard Ganche jette les principes d’une éthique de la mort et nous renvoie à nos destins humains.

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Le retour d’Adolfo Bioy Casares: le réalisme magique argentin

Le retour d’Adolfo Bioy Casares: le réalisme magique argentin

Republiées ce mois-ci, aux éditions Robert Laffont, traduites par Françoise-Marie Rosset, les Nouvelles Fantastiques de Bioy Casares nous plongent dans le réalisme magique argentin.

 

Surtout connu pour son récit L’Invention de Morel, l’écrivain Bioy Casares ( né en 1914-mort en 1999) nous livre onze illustrations de la boutade de son ami et complice Jorge Luis Borges:

 » Si son invention est fantastique, elle n’a rien d’impossible« . 

 

Notons que tous deux avaient choisi le registre fantastique, non comme une posture stylistique, mais comme un engagement : dire vrai, contre le politiquement correct. Et la division absurde entre « les mouches et les araignées ». Ni Casares ni Borges ont « essay(é) d’être les araignées qui mangent les mouches ».

Simplement d’appréhender l’univers qui nous entoure, en montrant sous divers prismes qu’il se dérobe, et que seul l’écrivain authentique n’est pas un escroc.
Nouvelles-fantastiques

SOUS LE SIGNE DU CHAT : LOVECRAFT

SOUS LE SIGNE DU CHAT : LOVECRAFT

Il n’y a que les éditions La Clef d’Argent pour se lancer dans l’essai intimiste  et sociologique. L’ opuscule, Sous le signe du chat, fait écho à un texte de William Burroughs, intitulé Entre Chats.

Comme maints écrivains célèbres ( Rémy de Gourmont, Colette…), Howard Phillips Lovecraft ( 1890-1937) vouait un véritable culte aux chats, à leur « beauté distante, cosmique, aristocratique ».

L’auteur de l’essai, Boris Maynadier, docteur en sciences de gestion et consultant spécialisé en stratégie de marque, dans Sous le signe du chat décrypte cette mythologie personnelle. Le plus intéressant est la réhabilitation de l’animal dans un monde anthropocentré:

 » Nous faisons montre d’une ignorance profonde vis-à-vis des mondes animaux ».

Lovecraft à cet égard est aussi un précurseur: il pense que nous méconnaissons les animaux. La compagnie des chats l’incite par conséquent à « s’ouvrir à d’autres mondes perceptifs » et éclaire son œuvre.

Cet essai intimiste contribue à approfondir l’imaginaire lovecraftien et paradoxalement à donner une image plus humaine de l’écrivain des monstres, des Grands Anciens et des grimoires maudits. 

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